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Faune, flore et homme menacés Quand la lumière désoriente, piège et dérègle

Pascal Moeschler, conservateur au Muséum d'histoire naturelle de Genève, explique en quoi l'excès de lumière nuit à la faune et à la flore, en particulier aux papillons de nuit.

Faune et flore

On l’ignore souvent mais l’essentiel de la biodiversité fonctionne la nuit. “95% des papillons sont des espèces nocturnes, rappelle Pascal Moeschler, conservateur au Muséum d'histoire naturelle de Genève. 64% pour les invertébrés et 28% des vertébrés.” Leur activité est mise à mal par la lumière artificielle. Elle les déboussole et modifie leur comportement “en agissant comme une barrière qui bloque leurs déplacements, explique Aline Blaser, responsable du programme "corridors biologiques" au département du territoire du canton de Genève. Les espèces, que ce soit la grande faune ou les chiroptères, vont tendre à éviter ces murs de lumière, ayant besoin de zones sombres pour leurs activités. Elles voient ainsi leur habitat se fragmenter et sont confinées dans certains espaces.” Avec des conséquences potentielles sur leur survie et un déséquilibre des relations proies-prédateurs. La responsable relève encore que la lumière désoriente aussi les oiseaux migrateurs qui utilisent notamment des indicateurs visuels comme la lune, les étoiles ou des repères au sol.

Ensuite, l’éclairage est aussi une source de stress et se mue même en piège. Les premières victimes sont les insectes, attirés par cette source lumineuse qui déboussole leur orientation. Ils restent scotchés aux lampes et meurent d’épuisement à force de tourner frénétiquement. “C’est la seconde cause de mortalité des insectes après les pesticides”, précise Pascal Moeschler. Des opportunistes malines profitent de ce piège naturel: “On a constaté que le nombre d’araignées a augmenté à proximité des lampes, car la nourriture vient spontanément à elles, continue le spécialiste. Une étude a montré qu’en deux ans, un lampadaire aspire les insectes et les fait disparaître dans un rayon de 200 mètres. Les règles du jeu sont modifiées, la chaîne alimentaire déréglée…”

Et n’y a pas qu’elle qui se dérègle: les insectes occupés à tournoyer n’accomplissent plus leur tâche de pollinisation, le processus naturel se grippe. “C’est alors tout l’écosystème qui est altéré: baisse de la pollinisation nocturne, diminution de la reproduction des plantes et de la production des cultures, moins de possibilités pour les pollinisateurs diurnes.”

L'homme

Le spectre lumineux des LED blanches (présents dans les écrans, publicités, luminaires, etc.) a des effets sur la santé sur tous les groupes d’organismes et l’homme n’y échappe pas. De nombreuses études ont montré qu'une exposition constante à cet éclairage modifie la sécrétion de mélatonine, hormone qui a notamment pour tâche de préparer l’organisme au sommeil, de programmer la reproduction et de stimuler le système immunitaire. “La mélatonine joue par ailleurs un rôle dans la prévention du développement de cancers et de la dépression", ajoute le conservateur du Muséum.

Un patrimoine perdu

Enfin, la prolifération de sources lumineuses touche directement la science. “Il devient difficile d’observer le ciel qui disparaît de notre vue, regrette Eric Achkar, de la Société astronomique de Genève. C’est dommageable pour les astronomes. Mais ça l'est aussi pour tout un chacun car nous perdons ce lien visuel et émotionnel avec cet habitat qu'est l'univers! En ville, quelques dizaines voire une centaine d’étoiles seulement sont visibles, alors qu’à la campagne des milliers sont observables. Par ailleurs, un tiers de la population mondiale ne voit plus la Voie lactée.» Et de conclure: “L’UNESCO l’a déclaré en 1992 déjà: le ciel étoilé fait partie intégrante du patrimoine mondial à préserver”.

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Tribune de Genève
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