Loading

Grands Moulins de Paris TOUJOURS DEBOUT

Les Grands Moulins de Paris vont enfin être transformés en logements. Une nouvelle page va se tourner pour les habitants de Marquette-lez-Lille, trente ans après la fermeture de l’un des fleurons de l’industrie des Hauts-de-France. Bienvenue dans un bâtiment chargé d’histoires : celle de la minoterie, celle des Marquettois, de leur maire, celle aussi des graffeurs qui ont trouvé là, pendant des années, un formidable terrain de jeu. Celle aussi, plus tragique, des faits divers. Celle, enfin, de ces promoteurs et de ces architectes qui vont rénover ce lieu classé monument historique.

L'HISTOIRE

Trente longues années d’attente

La phrase était devenue une ritournelle. « La signature des Grands Moulins, c’est pour le mois prochain ! », promettait Jean Delebarre, le maire de Marquette. Et puis les semaines, les mois, les années passaient, sans qu’aucun paraphe officiel ne vienne confirmer les dires. En 2001, Jean Delebarre confiait : « Oui, la requalification de ce secteur est en cours, les premières acquisitions sont faites. » Dix ans plus tard, en janvier 2011, le maire de Marquette présentait un projet à ses administrés lors des vœux. Nous voilà en 2018, et la pharaonique réhabilitation ne devrait pas débuter avant la fin de l’année. Mais pourquoi une si longue attente ?

Pour le propriétaire, marchand de biens alsacien, si le dossier traînait, c’était à cause du ferrailleur Boone, installé à côté des GMP.

Il aura fallu de la persévérance, de la persuasion ; il aura fallu surmonter les obstacles administratifs, les gourmandises financières des uns et des autres pour que le projet aboutisse. À l’été 2010, Jean Delebarre reprochait au propriétaire des Grands Moulins, Jean-Pierre Maurice, qui les avait rachetés en 1995 à Bouygues, de faire sans cesse monter les enchères. Et donc de décourager les potentiels investisseurs. Pour le propriétaire, marchand de biens alsacien, si le dossier traînait, c’était à cause du ferrailleur Boone, installé à côté des GMP, le long de la Deûle, qui refusait de quitter les lieux. Bref, les acteurs se renvoyaient la balle.

Durant toutes ces années, les Grands Moulins ont continué à se dégrader… La friche a été le terrain de jeux des graffeurs, des Urbex, ces photographes friands des lieux abandonnés. Le terrain d’exploration d’habitants du secteur aussi, curieux de s’aventurer dans cette fascinante cathédrale de béton abandonnée.

Mais ces années ont aussi été marquées par de tragiques événements. De nombreux incendies s’y sont déclarés, entre celui de septembre 2001, qui a ravagé l’aile ouest du bâtiment, et celui de juillet 2017, qui a eu raison de la toiture de la tour.

Mais on retiendra surtout la mort d’une adolescente, originaire de Lambersart : le 4 juin 2016, Sarah était venue passer la nuit aux Grands Moulins avec deux amies ; elle a chuté de vingt mètres dans un ancien silo à farine.

Ajoutée à d’autres accidents moins tragiques, la mort de l’adolescente a suscité une réelle prise de conscience de la dangerosité des lieux : un an après, Bercy délivrait l’agrément fiscal. Et en novembre 2017, l’ambitieux projet de réhabilitation était annoncé par le maire Jean Delebarre et le promoteur Xavier Lucas. Fin d’une parenthèse longue de trente ans.

Une minoterie majeure

Les Grands Moulins de Paris (GMP), c’est d’abord une grande entreprise. L’usine de transformation de grains de blé en farine de Marquette-lez-Lille était une filiale de cette société créée en 1919 par un groupe de minotiers. Celui-ci avait fait construire une grande minoterie industrielle et moderne à Paris puis pris le contrôle de plusieurs moulins en France, dont celui de Marquette-lez-Lille.

Début 1962, de lourds investissements censés contrer la concurrence belge sont réalisés.

Au départ, les GMP étaient administrés par un groupe de personnes, dont le sous-secrétaire d’État au ravitaillement. Il faut se remettre dans le contexte de l’après-guerre pour imaginer l’importance du titre... Puis, progressivement, la famille Vilgrain prit le contrôle des GMP jusqu’en 1989. Cette année-là, les Grands Moulins de Paris sont rachetés par Bouygues. Plus qu’une diversification de ses activités, le groupe y voit un joli patrimoine immobilier. Mais après divers péripéties, il revend les GMP à un groupe d’investisseurs financiers à la fin des années 90.

A Marquette-lez-Lille, les bâtiments de la minoterie furent réalisés par l’architecte Vuagnaux. Leur construction a lieu entre 1920 et 1923 à l’initiative de la Meunerie lilloise. Ils ont donc presque cent ans. Mais ce n’est qu’en 1928 que l’activité de la minoterie fut reprise par les GMP. La minoterie tourne alors jusqu’en 1989, employant des centaines et des centaines de salariés.

1987, la fin des Grands moulins.

Puis, Bouygues revend le site à un marchand de biens en 1991 pour 1,5 million de francs. Les bâtiments seront ensuite classés monuments historiques en 2001. Il aura donc fallu près de 30 ans pour qu’ils trouvent une nouvelle vocation. Mais ils ne sont pas les seuls. A Paris, les anciens GMP ont été réhabilités en campus et en administration universitaire. Il n’y a pas que les grains de blé que l’on transforme.

Entre 1987 et 1993, les projets de reprise n'ont pas été nombreux.

"C'était une maison et une famille"

Michel Legrand et son fils Dominique ont tous deux travaillé aux Grand Moulins de Paris, "meilleure minoterie de France". Ils racontent.

Un « joyau », un « fleuron de l’industrie », une « maison et une famille ». Les mots des Legrand père et fils ne sont jamais assez forts pour exprimer le sentiment qu’ils nourrissent vis-à-vis de ce qui n’est plus que la carcasse d’un moulin, dont la charpente dénudée par les flammes s’aperçoit du jardin de Michel.

« Si j’avais dix ans de moins, j’y achèterais un appartement. »

Michel, c’est le père, 85 ans. Dont 33 passés aux Grands Moulins, les pieds dans la farine et la tête dans la qualité des grains de blé, en tant que magasinier, responsable de la sacherie, puis responsable de silo. Il est parti en 1987, à la faveur d’une « charrette ». Deux ans avant la fermeture définitive. « Je n’y ai plus jamais remis les pieds », dit-il. Trop dur de voir se dégrader ce qui a été sa vie et celle de sa famille, ce qui a été la fierté de nombre de Marquettois. Sur le projet de réhabilitation, ses gestes se font encore un peu plus amples quand il en parle, son regard plus animé : « Si j’avais dix ans de moins, j’y achèterais un appartement. »

On se demandait pourquoi un marchand de béton venait acheter un moulin."

C’est ce que son fils va faire. Adjoint à la ville de Marquette, Dominique Legrand, 52 ans, a travaillé quelques années comme représentant pour les Grands Moulins. « Une aventure formidable, sourit-il. Jusqu’à ce que la famille Vilgrain vende à Bouygues... On se demandait pourquoi un marchand de béton venait acheter un moulin. On a compris. » Les « charrettes », départs volontaires ou non, se sont multipliées.

Tristesse absolue que cette silhouette majestueuse de « la meilleure minoterie de France ».

Lui, a dû retourner dans la friche, « par obligation » en tant qu’élu de la Ville. Tristesse absolue que cette silhouette majestueuse de « la meilleure minoterie de France » qui se crible de trous au fil du temps. Alors une chose est sûre : « Nous y achèterons un appartement. » « Pour notre retraite », sourit son épouse. « Mon frère aussi a prévu d’y acheter un appartement », ajoute Dominique. Il ne sera pas dit que la famille Legrand aura quitté le navire des Grands Moulins.

PHOTO STEPHANE MORTAGNE

LE LIEU

Des Graffs Mignons et Percutants, des tags morbides et poétiques

Impossible à clore complètement, comme nombre de friches industrielles, celle des Grands Moulins de Paris a reçu la visite incessante des graffeurs. En une dizaine d’années, on a vu les styles changer, mais avec des constantes, plus qu’ailleurs. Et plus le toit s’effritait, plus les couches de peinture s’amoncelaient sur les murs.

Lors de notre première visite, en 2009, les toits avaient souffert du premier incendie et les planchers étaient déjà crevés, mais les tags qui ornaient murs et piliers dormaient encore au sec. Ils se défraîchissaient moins vite, forcément.

C’est la loi du genre, le graff est éphémère

C’est la loi du genre, le graff est éphémère. Mais les Grands Moulins de Paris ont généré des constantes. Le tag signature, de toutes tailles, couleurs et formes, y est majoritaire, enveloppant par couches de plus en plus épaisses les murs et les piliers, envahissant les machines rouillées, se nichant dans les vestiaires, grimpant dans l’escalier en colimaçon de la tour, griffant même les pneus plantés dans la salle des silos.

Sont-ce les chausse-trappes qui abondent, les fers tordus qui jaillissent, les verrières explosées, le wagonnet fracassé au pied de la tour ? Une indéniable agressivité hante certaines créatures : masque grimaçant, tête de mort, suppôt de Satan, insecte menaçant, être casqué d’un masque à gaz… Néanmoins, l’humour, parfois grinçant, a toujours été présent, ainsi que la fantaisie. Un fantôme demande au visiteur, un rien provoc : « Tu veux faire un bébé ? ». Un gorille vert invite l’explorateur de passage à « un after ». Deux bonshommes font de la balançoire sur un troisième. Un graffeur conceptuel a écrit sur un mur : « Ceci n’est pas un Magritte »…

La locomotive apparue en 2011 sur la paroi métallique du bâtiment le plus moderne a disparu

Le graff est éphémère et l’œil-soleil bien las qui nous épiait en 2010 est quasiment effacé aujourd’hui. Un jet de bombe chasse l’autre et le chien jaune joyeux qui bondissait dans un couloir est balafré d’un « SOS » en lettres capitales. La locomotive apparue en 2011 sur la paroi métallique du bâtiment le plus moderne a disparu. Elle semblait tirer un wagon de marchandises formé, en trompe-l’œil, par l’évidement de la façade.

Il ne reste plus guère trace des dessinateurs de 2010, celui des poissons anguleux et celui des visages de BD charbonneux. D’autres styles sont apparus. En 2015, la ligne claire d’un semeur de bonshommes élastiques et géométriques, volontiers tronçonnés. La même année, le fan de Magritte. Dernièrement, le fou de champignons et le croqueur d’insectes aux lignes enrubannées.

À l’invitation de La Voix du Nord, Jef Aérosol était venu reproduire sur un pilier, en mars 2016, les pochoirs réalisés pour l’album "Anomalie" de Louise Attaque
Jef Aérosol à l'oeuvre dans les GMP. PHOTO PIB

Dans cet immense et redoutable terrain de jeux, nul n’a touché à l’œuvre du maître. À l’invitation de La Voix du Nord, Jef Aérosol était venu reproduire sur un pilier, en mars 2016, les pochoirs réalisés pour l’album "Anomalie" de Louise Attaque. Malgré l’incendie de l’été 2017, les trois visages du groupe sont intacts. Il faut les repérer dans cette vaste halle de béton, nichés au bord d’une fosse. Seront-ils sauvés de la démolition ? En gardera-t-on une empreinte, en compagnie d’autres réalisations originales ? Les architectes ont assuré que oui…

"C'est le témoignage d'une architecture industrielle"

En 2001, les GMP ont été classés au titre des monuments historiques. Catherine Bourlet, architecte des Bâtiments de France pour le Nord, nous explique la raison de ce classement et détaille les parties qui pourront être sauvées dans le cadre des travaux de transformation du lieu.

Un classement mérité

« L’ensemble des constructions constituant les Grands Moulins de Paris a été bâti en 1921 sur une parcelle perpendiculaire à la Deûle et au quai de déchargement. L’établissement témoigne du processus industriel du traitement du blé, de son acheminement jusqu’à sa transformation en farine. Il a été classé monument historique par arrêté préfectoral le 30 mai 2001. Il présente, du point de vue de l’Histoire et de l’histoire de l’art, un intérêt suffisant pour en rendre désirable la préservation: c’est le témoignage d’une architecture industrielle datant de la reconstruction après la Première Guerre mondiale au Nord de Paris, dans un style régionaliste néo-flamand, œuvre de l’architecte Vuagnaux. »

Catherine Bourlet

Ce qui peut être sauvé

« Un permis d’aménager prend en compte la restauration et la réhabilitation des bâtiments emblématiques : au sud de la parcelle, les silos circulaires, le bâtiment des moulins avec sa tour horloge et les magasins ; au nord, le portail (dont la grille disparue sera restituée), la bascule (pesée), la loge du gardien et le bâtiment d’habitation notamment. Les bâtiments des moulins, des magasins et la tour de l’horloge, victimes d’incendies ces dernières années, retrouveront leurs toitures et leurs lucarnes d’après les témoins en place et des documents historiques. »

Vigilante aux aménagements

« L’architecte des Bâtiments de France et la Conservation régionale des monuments historiques sont particulièrement attentifs à la restauration dans les règles de l’art des parties protégées, à la compatibilité des constructions neuves, des interventions contemporaines et des aménagements extérieurs avec la présentation et la mise en valeur du bâtiment historique. Ce travail de fond est déjà engagé dans ce sens depuis plus de trois ans avec la maîtrise d’ouvrage et le maître d’œuvre. »

LE PROJET

Pour l’architecte, déjà vingt ans de réflexion sur les « GMP »

Hubert Maes, qui porte le projet architectural

C’est le cabinet lillois d’Hubert Maes qui a eu le privilège d’imaginer les plans de la réhabilitation des Grands Moulins de Paris. Or, entre ce cabinet, et surtout son patron, et les GMP, c’est une vieille histoire. Vingt ans qu’Hubert Maes en entend parler, se sent poussé, tiré, mouliné par ce projet et les multiples acteurs qu’il implique. « Les premières esquisses, dans nos archives, datent de 1998 », se souvient l’architecte. C’est le début de la longue histoire, des visites à répétition avec Jean Delebarre, maire de Marquette, Pierre Mauroy, président de la Communauté urbaine à l’époque, et Bernard Haesebroeck, élu chargé de la question.

L’affaire suit son cours, ses méandres politiques et financiers. Pendant ce temps-là, chez Maes, une équipe complète est dédiée au projet « qui synthétise notre savoir-faire: l’urbanisme et la réhabilitation de l’ancien ». Dès le premier jet, « on imaginait quelque chose qui préservait le bâtiment et gardait l’aspect linéaire de l’ensemble », avance Hubert Maes.

Ce projet constitue la première phase d’un quartier."

À ses côtés, Claire Duthoit, qui chapeaute désormais le projet à l’agence. « La chose primordiale à laquelle on a pensé sur ce projet, c’est qu’il constitue la première phase d’un quartier », dit-elle. Le maire a toujours envisagé cette réhabilitation comme un moyen d’y ancrer un nouveau quartier permettant de relier deux Marquette séparées par la Deûle...

Ce constat posé, les accès sont conçus de manière à relier un ensemble. Des voies piétonnes révéleront la tour de l’horloge. Un parc, « avec une façade entière connectée à la Deûle », prendra place dans l’ancienne cour de service. Le bâtiment historique sera rénové à l’identique. 245 appartements y prendront place, du T1 au T5, avec des fenêtres de trois mètres de haut... « Ce bâtiment était plutôt facilement convertible en logements, explique Claire Duthoit. Les façades sont vitrées, la toiture percée de lucarnes...»

La tour Signal, 15 étages, sera la figure de proue de l’ensemble.

Respectant l’esprit initial de linéarité, les deux tours ajoutées au bâtiment historique le sont dans le prolongement de celui-ci. La tour Signal, 15 étages, sera la « figure de proue » de l’ensemble, postée à 10 mètres à peine des bords de Deûle. De l’autre côté, la tour Vilogia.

Un seul espace a échappé à la pugnacité réhabilitatrice du cabinet : les silos... En-dessous, il y aura un restaurant. Au-dessus, huit appartements « en attique ». Mais pour les tubes, rien (à part un ascenseur et des escaliers pour accéder aux appartements). L’appel à idées est lancé.

246 appartements, 4 600 euros le m2 et une défiscalisation sous certaines conditions

On y trouvera du studio, du T1 bis avec mezzanine ou encore du T5 en attique, au dernier étage. Du plein nord, plein sud, et du traversant… Les 246 appartements qui trouveront place dans l’enceinte du bâtiment historique des Grands Moulins ressembleront à la farine qu’on y produisait : de différentes qualités, de différentes tailles, pour différents usages.

La commercialisation a été lancée par le promoteur Histoire et Patrimoine vendredi 2 mars. « C’est le bâtiment qui a dicté la programmation, avance Alexandre Mauret, président de la société. Il y aura des T2 de 60 m2, d’autres un peu plus petits, des studios et des T1 bis avec mezzanine… Ça va de 27 m2 à 160 m2 selon les appartements. » Le prix moyen de vente devrait avoisiner les 4 600 euros le m2. « Avec des ajustements selon la typologie, ajoute Alexandre Mauret. Un appartement en bas et orienté nord sera beaucoup moins cher qu’un logement en haut et sud. Cela s’adressera à des investisseurs bien sûr, mais aussi à des accédants. Il y a beaucoup de gens qui veulent y habiter, notamment des anciens salariés des GMP. C’est un bâtiment qui leur appartient. »

La défiscalisation très particulière afférant à la vente des appartements des GMP, spécifique aux bâtiments historiques, permettra de déduire de ses revenus fonciers et globaux plus de 80% du montant des travaux. Sachant que sur ce type d’investissement, le foncier ne représente que 30 à 40 % du coût, le reste étant consacré aux travaux de réhabilitation. Pour en bénéficier ? « Conserver le bien 15 ans et le mettre en location», détaille Xavier Lucas, premier promoteur ayant mené l’opération.

S'agissant du calendrier de livraison, X. Lucas imagine des échéances rapides : « Le début des travaux devrait intervenir en 2019, pour une livraison fin 2021…»

Report Abuse

If you feel that this video content violates the Adobe Terms of Use, you may report this content by filling out this quick form.

To report a Copyright Violation, please follow Section 17 in the Terms of Use.