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Les Petits Châtelets : du patronage à la friche artistique Cet espace de 5 km² en périphérie d’Alençon a connu depuis un siècle et demi de nombreux changements, de la congrégation religieuse au collectif culturel alternatif.

Un lieu d’accueil des femmes démunies

En 1855, l’abbé Lindet, prêtre du diocèse et aumônier de prison, donne son enclos des Châtelets à la congrégation des sœurs Marie-Joseph pour qu’elles y fondent un refuge pour les jeunes femmes « repentantes ». Le lieu est alors connu comme le couvent des repenties.

Un décret de 1869 stipule que cet établissement a pour but d’accueillir des « jeunes filles indigentes d’Alençon » et de leur procurer « des leçons de travail, de morale et de religion ». La congrégation œuvre jusqu’en 2000 pour héberger des femmes en difficulté : filles-mères, pupilles de la nation et femmes sortant de prison.

Image d'archive de l'une des salles de prière des Petits Châtelets.

Un rôle ambigu : entre aide sociale et éducation surveillée

Pour Gérard Cholvy, spécialiste de l’histoire religieuse contemporaine de la France, « le rôle de ces congrégations religieuses est ambigu ». Ces lieux sont à la fois un lieu de privation de liberté, de rééducation morale et d’aide sociale. Ces institutions sont vivement critiquées au moment du vote des lois 1901 et 1905, en plein conflit entre confessionnels et laïques. À partir de 1968, beaucoup d’entre elles ferment leur portes.

En 1975, le volet social s’ancre définitivement aux Petits-Châtelets avec la création d’une Mecs (Maison d’enfants à caractère social), qui existe toujours aujourd’hui. Simultanément s’ouvre un foyer d’hébergement, la Clarté, qui accueillera en plus de trente-cinq ans 1 500 femmes seules en difficulté et leurs enfants.

Un espace de liberté

En 2008, l’association laïque des Petits-Châtelets achète l’ensemble des bâtiments. Suite à la fermeture de la Clarté, les locaux sont progressivement loués à des artistes et artisans de toutes disciplines. Depuis 2015, la chapelle est occupée par l’association Chapêlmêle, qui promeut la culture pour tous. Le lieu, identifié comme alternatif, réunit désormais un collectif d’une dizaine d’artistes. « Paradoxalement, c’était un lieu d’enfermement et c’est devenu un lieu de liberté », résume Gabriel Soulard, comédien-clown en résidence à Chapêlmêle.

Désacralisée, la chapelle des Petits Châtelets accueille désormais des événements culturels, portés par l'association Chapêlmêle.
« J’ai vécu ces années comme un enfermement »

Charlotte (prénom d’emprunt), a été pensionnaire de la Solitude des Petits Châtelets de 1958 à 1965. Entretien.

Comment êtes-vous entrée à la Solitude des Petits Châtelets ?

« Lorsque ma mère s’est séparée de mon père, alors que le divorce n’existait pas encore, elle nous a confiés, mes quatre frères et sœurs et moi, à la Solitude des Petits Châtelets. Elle souffrait alors de problèmes de santé qui l’empêchait de nous garder. Je n’avais que 5 ans.

Ce que je sais des autres pensionnaires, c’est que beaucoup étaient placées par l’action sociale parce qu’elles vivaient dans des familles nombreuses, pauvres et démunies. J’ai connu une famille qui comptait 17 enfants ! Pour d’autres, il s’agissait d’être protégées de leurs parents. »

Comment qualifieriez-vous le comportement des sœurs à votre égard ?

« Elles étaient dures et même tyranniques, injustes et menteuses. Je suis très vite devenue rebelle car j’étais gauchère. On m’attachait la main gauche dans le dos, on m’humiliait devant le reste de la classe. J’étais même frappée ! À 10 ans, j’ai connu les corvées agricoles du jeudi après-midi dans les champs. Toute personne qui ne réussissait pas à l’école était envoyée, mineure, comme main-d’œuvre gratuite chez des fermiers pour récurer les enclos à cochons. J’ai vécu ces années comme un enfermement. »

Que ressentez-vous en redécouvrant les Petits Châtelets aujourd’hui ?

« Je suis sciée ! Et j’aurais bien aimé voir la tête d’une bonne sœur devant ce changement ! Je me revois toute petite. Et je trouve cela génial de faire de ce lieu un espace de culture. »

Photo de la Solitude des Petits Châtelets fournie par les archives municipales d'Alençon.

Quel avenir pour les Petits Châtelets ?

Entretien avec Astrid Agaccio, étudiante à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Malaquais qui y consacre son projet de fin d’études.

Astrid Agaccio, étudiante en architecture, a planché sur ce que pourraient devenir les Petits Châtelets.

Pourquoi avez-vous décidé de mener une étude sur les Petits Châtelets ?

Je suis partie à la recherche d’un territoire délaissé, périurbain, loin des métropoles attractives. Je souhaitais réhabiliter plutôt que construire du neuf, me saisir d’un site occupé, habité, avec une histoire et un contexte toujours présents. Et surtout j’éprouvais le besoin de faire un projet utile et responsable.

Pourquoi l’avenir de ce lieu est incertain ?

Les Petits-Châtelets sont menacés par le départ prochain de la Maison de l’Enfance. L’association propriétaire risque en effet de mettre la clé sous la porte si aucune solution alternative n’est mise en place. Ce site peut être perçu comme un ensemble dont on ne sait quoi faire, un lot de contraintes. Pourtant, j’ai découvert sur place une dynamique sociale et culturelle, une volonté de faire ensemble qui pourraient être le catalyseur de la transformation du site. La réhabilitation de ce lieu attirerait à coup sûr de nouveaux usagers et de nouvelles pratiques.

Quelle proposition apportez-vous ?

Je pense qu’il faut ouvrir ce lieu, qui est resté clos et isolé pendant 150 ans. À commencer par la transformation des espaces extérieurs en lieux publics. En ce qui concerne les bâtiments, je crois qu’il faut faire avec l’existant, même s’il faudra réparer, remettre aux normes, restaurer ou donner un coup de neuf. J’ai imaginé un projet en trois espaces distincts : un espace auberge et gîte, destiné à accueillir les groupes, un espace consacré au logement social, et un troisième espace dédié à l’art et à la culture, autour de la chapelle. Ce, afin de conserver les espaces de liberté qui caractérisent cette « friche artistique ».

Une soirée débat sur le parcours des pensionnaires

À l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le Planning familial 61 organise une soirée spectacle intitulée Mauvaises filles, à Chapêlmêle, pour rappeler l’enfermement des jeunes femmes au sein de congrégations religieuses. Mauvaises filles est le titre de l’ouvrage écrit par deux historiens, Véronique Blanchard et David Niget. Le livre consiste en une série de portraits de ces pensionnaires « vagabondes »« hystériques »« filles-mères »« prostituées »« fugueuses »« cheffes de bande »« punk »« crapuleuses », réalisés à partir d’archives médicales ou judiciaires.

En 2017, la compagnie féministe À la tombée des nues décide de s’emparer du propos pour monter un spectacle avec les auteurs. « C’était les bonnes sœurs et la société qui disaient que nous étions des mauvaises filles ! », s’offusque Charlotte, ancienne pensionnaire des Petits Châtelets. La soirée souhaite ainsi rendre un visage à ces destins orageux.

Mercredi 28 novembre 2018, à 19 h 30 à Chapêlmêle (41, rue des Châtelets). Gratuit.

Le spectale Mauvaises filles rassemble sur scène des comédiennes et des historiens.

Credits:

Ouest-France ; Archives municipales d'Alençon ; Compagnie À la tombée des nues

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