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PHILIPPE SÉGUIN, LE TÉNOR D'ÉPINAL PAR CEUX QUI L'ONT CONNU

Le 7 janvier 2010, l’ancien député-maire d’Épinal, ministre et président de l’Assemblée Nationale succombait brutalement. Figure politique et intellectuelle, au caractère vif et tempétueux, il incarna le "Gaullisme social" et une parole publique fidèle à ses valeurs. Dix ans après, ceux qui l'ont connu se souviennent d'un homme inclassable.

Né à Tunis, il avait été député des Vosges en 1978 et maire d’Epinal. Forte personnalité de la droite française et homme de paradoxe, Philippe Séguin a bâti sa carrière politique sur de fameux "coups de gueule" qui appuyaient son besoin d’indépendance. Le plus célèbre est sans doute celui du 16 avril 1999, quand il claque la porte de la présidence du RPR, à six semaines des élections européennes. Il est alors président du parti gaulliste depuis deux ans et laisse son second, Nicolas Sarkozy, gérer les décombres. Cette démission soudaine est bien dans le caractère de cet homme ombrageux et inclassable.

"Il est tellement solitaire qu’il sera toujours un baryton sans orchestre", dira de lui Jacques Chirac

Le "baryton", le "Lion de la République", le "grizzly",... Avec sa haute taille, sa carrure imposante mais surtout par ses coups d'éclats, Philippe Séguin impressionne, et son souvenir reste gravé dans les mémoires. Sa mort à 66 ans a déclenché un hommage unanime. Amis, collaborateurs, collègues dans ses différentes fonctions, anciens ministres, élus locaux, notables ou sans grade, Lorrains et Méditerranéens... tous se souviennent.

"Mon père a laissé une trace indéniable"

Catherine Séguin, l'une des quatre enfants de Philippe Séguin

Préfète du Gers depuis 2017, Catherine, l’une des quatre enfants de Philippe Séguin, admet être toujours aussi étonnée par l'empreinte indélébile qu’a laissé son père dans l’histoire politique du pays. Et elle possède forcément de nombreuses anecdotes pour décrire ce papa pas comme les autres.

Elle admet en être touchée. "Il ne se passe pas une semaine sans que je croise quelqu’un qui me parle de mon père comme d’un ami alors qu’ils ne se sont jamais rencontrés." Catherine Séguin, comme ses frères et sœurs, Pierre, Patrick et Anne-Laure, est toujours aussi impressionnée par "l’empreinte indéniable" laissée par son père dans l’histoire politique du pays. "Nous avons mis en place des alertes sur internet et chaque jour, il y a quelque chose qui se dit ou s’écrit sur Philippe Séguin." Même 10 ans après sa mort. "Cela nous procure, à nous ses enfants, une immense fierté".

Philippe Séguin devant le musée départemental d’art ancien et contemporain d'Epinal pour sa candidature aux élections législatives de 1993. Photo Archives La Liberté de l'Est.

Celle qui est désormais préfète du Gers à Auch, a ses convictions sur cette popularité jamais démentie. Pour elle, cela tient avant tout à la personnalité de son père. "Il avait une conception exigeante de la République. Il a toujours été sans concession. Son caractère entier lui faisait prendre des positions très fortes qu’il défendait avec vigueur et fougue. Cela suscitait le respect même chez ceux qui ne partageaient pas ses idées." Et Catherine Séguin de citer en exemple son travail à la présidence de l’Assemblée Nationale. "Il a toujours milité pour le respect de l’opposition. Laquelle devait pouvoir s’exprimer librement."

"Il a toujours été sans concession"

Mais la fille de l’ancien maire d’Épinal admet que la popularité de son père ne s’est révélée à ses enfants que plus tard après son décès. Ses proches ont, logiquement, surtout gardé des souvenirs plus personnels de l’homme public qu’il était. À l’image de ces 14 étés successifs passés en famille dans un établissement de Vittel. « On batifolait dans la piscine et lui était assis en plein soleil en train de rédiger des discours et des notes avec son stylo-plume. Ces discours qu’il retravaillait encore et encore… » Et dont certains sont devenus des références pour nombre de politiciens.

Edouard Balladur ou Jacques Chirac, nombreux sont les politiciens à lui avoir rendu visite à Épinal. Photos Archives/la Liberté de l'Est

Si elle n’a pas grandi à Épinal, Catherine Séguin a tout de même fait des séjours dans les Vosges. "Quand on venait à Épinal, on avait droit à chaque fois au même rituel. Il nous embarquait tous les quatre dans la voiture et on faisait le tour de la ville. Notamment pour voir tous les équipements sportifs qu’il avait fait sortir de terre. Il avait un attachement phénoménal pour cette ville qui l'avait accueilli. Et avait une obsession pour les prix. Sa ville devait être parmi les plus sportives ou les plus fleuries. Cela le rendait fier pour Épinal et ses habitants."

Recueilli par Philippe NICOLLE

"Séguin m’a complètement laissé la place"

Michel Heinrich, maire d'Epinal

C’est en 1997 que Philippe Séguin a quitté Épinal pour laisser la mairie à Michel Heinrich qui l’aura donc côtoyé durant 14 ans au sein de la collectivité. Si les premières années de collaboration ont été courtoises, les deux hommes ont ensuite vécu une relation empreinte de confiance mutuelle.

Alors qu’il ne sera plus le maire d’Épinal dans trois mois, Michel Heinrich a forcément des images qui lui reviennent en tête lorsqu’il repense à Philippe Séguin. Car il y a 22 ans, c’est l’ancien président de l’Assemblée Nationale qui lui avait laissé les clés de la mairie spinalienne. C’était en 1997. "Il m’avait parlé de ça deux ans avant alors que moi je pensais plutôt arrêter pour privilégier ma vie familiale et professionnelle" confie celui qui aura toujours vouvoyé son prédécesseur qui en fera de même. "Une marque de respect mutuel qui en dit long en politique où le tutoiement est plutôt de rigueur".

Durant quatorze années, jusqu’à ce que Philippe Séguin lui confie les rênes de la municipalité, Michel Heinrich aura travaillé aux côtés d’un homme qui avait deux qualités évidentes selon lui. "Il était très intelligent et il était vraiment un visionnaire." Pourtant, lorsqu’il intègre le conseil municipal en 1983 aux côtés de celui qui était arrivé dans les Vosges pour être élu député, les relations sont juste courtoises. "On n’était pas très potes. Car il ne comprenait pas que je ne sois pas plus disponible pour la Ville alors que j’étais encore pharmacien".

"On n’était pas très potes"

Mais au fil des ans, la relation entre les deux hommes va évoluer. "On partageait les mêmes valeurs". Et parmi celles-ci, il y avait le sport. Régulièrement ensemble, au match de football à la Colombière ou autour d’un dîner à la patinoire, Séguin et Heinrich apprennent à se connaître. Et à se faire confiance. "J’étais adjoint aux sports et à l’éducation mais il me confiait de plus en plus de dossiers qui auraient dû être attribués à d’autres élus" se remémore Michel Heinrich. Qui a donc pris la succession de Philippe Séguin en novembre 1997. "Je le tenais informé de ce qui se passait à Épinal. Mais il n’est jamais intervenu par la suite. Il m’a complètement laissé la place".

Reconnaissant avoir "beaucoup appris" à côté de Philippe Séguin, Michel Heinrich estime que celui-ci n’a pas eu le destin national qu’il aurait dû avoir. "Certains disent qu’il a piétiné devant l’obstacle. C’est un peu ça. Mais partout où il est passé, il a laissé son empreinte. Même à la cour des comptes". Et le maire d’Épinal d’être persuadé d’une chose. "On ne peut pas prédire qu’elle serait sa position dans le débat politique actuel s’il était encore de ce monde. Mais assurément, sa voix serait écoutée !"

Philippe NICOLLE

"Séguin était fait pour être Président"

François Fillon, ancien Premier ministre

Très proche de Philippe Séguin dès leur élection commune à l’Assemblée Nationale en 1981, François Fillon a longtemps travaillé avec l’ancien maire d’Épinal. Dont le destin national était, selon lui, tracé avant d’être brisé trop tôt.

Son émotion en janvier 2010 lorsqu’il a appris la mort de Philippe Séguin était bien réelle. Car François Fillon était un proche de l’ancien maire d’Épinal depuis près de 30 ans. Depuis la Sarthe, l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy affirme que Philippe Séguin « manque à la France ».

Dix ans après son décès, Philippe Séguin est toujours aussi présent dans la mémoire collective. Cela vous étonne ?

François Fillon : "Pas du tout. C’était un homme d’État dont le destin exceptionnel était tracé. Mais il a été brisé trop tôt. Philippe Séguin était fait pour devenir Président de la République. Il avait toutes les qualités pour prendre en mains les destinées du pays dans les moments difficiles."

Alors que la période est justement compliquée, sa voix serait-elle entendue s’il était encore là ?

"Il n’a jamais été remplacé. Des personnalités de cette envergure, avec cette indépendance d’esprit, je n’en vois pas actuellement en France. Et on peut même élargir ce constat aux démocraties européennes."

Qu’est-ce qui explique cette popularité 10 ans après sa mort ?

"Il était inclassable. Il ne s’est jamais laissé enfermer dans des postures trop partisanes même s’il appartenait à une formation politique. Il avait une indépendance d’esprit qui était parfois difficile à suivre. Depuis un moment, les responsables politiques respectent une ligne centrale en veillant à ne pas faire un pas de côté. Il y a plein de sujets sur lesquels on ne peut plus s’exprimer. Séguin était le contraire de ça."

Beaucoup d’hommes politiques se prévalent de Philippe Séguin…

"C’était moins le cas lorsqu’il était vivant. Il avait beaucoup d’adversaires. Il était à contre-courant de la pensée dominante. Mais c’était un visionnaire. L’exemple, c’est Maastricht. Il disait qu’avant de faire une monnaie commune, il fallait une organisation commune. On voit qu’il avait raison."

Pourtant il n’aura pas eu les responsabilités qu’il méritait ?

"Il s’est privé lui-même de ce destin national. Il aurait pu exprimer sa force et sa différence à plusieurs reprises mais s’en est empêché de lui-même. Notamment pour ne pas entrer en conflit avec certaines personnes comme le président Chirac. Sa démission de la présidence du RPR ou sa candidature à la mairie de Paris sont difficiles à expliquer autrement que par sa psychologie. Il a manqué de confiance en lui par instants."

Travailler avec Philippe Séguin n’était pas simple…

"C’est vrai. Car il était d’une rigueur extrême. Même sur les mots. J’ai eu la chance de n’être son porte-parole que durant 6 mois. C’était ardu car il fallait toujours employer le bon mot. Mais chaque coup de colère était vite oublié. On buvait un verre et on mangeait du saucisson. J’ai connu beaucoup d’hommes politiques moins colériques. Mais aussi beaucoup moins chaleureux. La vie avec Philippe Séguin était tout sauf monotone."

Recueilli par Philippe NICOLLE

"Il notait des idées sur ses paquets de Gitanes"

Gérard Claudel, patron de l'hôtel Lafayette

Philippe Séguin avait un appartement à Épinal, mais l’homme politique avait pris ses habitudes à l’hôtel Lafayette, où il passait ses week-ends. Le patron, Gérard Claudel l’a accompagné pendant toutes ces années. Souvenirs.

Un homme qui dormait très peu. Entre trois et quatre heures par nuit. Qui travaillait beaucoup et qui menait la vie dure au veilleur de nuit. "Il pouvait vouloir une compote de pommes à trois heures du matin et un peu plus tard un plat de pâtes", se souvient Gérard Claudel, l’ancien patron de l’hôtel Lafayette. Pendant toutes ces années à Épinal, même s’il gardait un appartement en ville, Philippe Séguin dormait à l’hôtel où il avait pris ses habitudes. Un hôtel qu’il avait mis sur les rails et dont il avait posé la première pierre en 1989. À l’époque, au Saut-le-Cerf, c’était une forêt.

Philippe Séguin avait posé la première pierre de l’hôtel Lafayette en 1989. Photo VM/Katrin TLUCZYKONT

Philippe Séguin dormait dans une chambre simple au départ et au bout d’un certain moment dans une petite suite faite sur mesure pour lui, la chambre 312. Un petit bureau, un salon avec une télévision, une chambre et une salle de bains. Le patron de l’hôtel avait même fait équiper la suite par un sauna individuel car Philippe Séguin avait besoin de cette chaleur-là pour se détendre matin et soir, comme un rituel avec ses mots croisés et un stylo à encre qui faisait des taches sur le bois…

"Il avait une voire deux lignes directes à l’hôtel pour les proches, et pour les autres appels, on filtrait au standard", explique Gérard Claudel, qui se souvient d’un homme qui avait toujours une longueur d’avance. "Les idées fusaient. C’était un homme qui avait un sens aigu de la prospective et il était toujours en avance sur un projet" décrit Gérard Claudel qui se souvient de Philippe Séguin qui notait des idées sur ses paquets de Gitanes.

La chambre de Philippe Séguin à l'hôtel Lafayette. Photo VM/Katrin TLUCZYKONT

Grâce au maire d’Épinal, les chambres de l’hôtel étaient toujours bien remplies le week-end. "Il y avait toujours cinq à six chambres réservées, notamment pour des journalistes qui venaient de Paris. Philippe Séguin leur disait "si vous voulez me voir, vous venez à Épinal. Et ils s’exécutaient, même s’ils n’étaient pas toujours ravis", sourit Gérard Claudel.

Au fil des années, l’hôtelier a noué des relations d’amitié avec l’homme politique. "Je suis allée le voir deux fois à Paris quand il était premier président de la Cour des comptes". Quand sa fille, Émilie Claudel, a repris la direction de l’hôtel, elle a reçu un petit mot encourageant de la part du fils de Philippe Séguin. "Quand j'avais douze ou treize ans, il m'expliquait la politique au bar de l'hôtel", se souvient-elle.

Katrin TLUCZYKONT

Réalisation : Marine VAN DER KLUFT avec Philippe NICOLLE, Alexandre POPLAVSKY et Katrin TLUCZYKONT