Loading

En finir avec les lunchs sous plastique jetable? Des salades en barquette aux plateaux de sushis, le repas à emporter sous emballage plastique est un symbole fort de la société du «tout-jetable». Des alternatives existent déjà ou se dessinent

Textes: Cathy Macherel

Il y en a de toutes les formes et pour tous les goûts. Des grands ovales dodus, des carrés et plats, des petits ronds… Et ils sont faits de toutes sortes de matières plastiques avec leurs abréviations un brin hermétiques: en polypropylène (PP), en polystyrène (PS), en polyéthylène téréphtalate (PET), en acide polylactique (PLA), etc. Bienvenue dans l’univers pléthorique des contenants alimentaires à usage unique, très utilisés en ville par la restauration à emporter et autres comptoirs de nourriture toute prête en grande surface.

À midi, ces repas sous plastique rendent certes service aux travailleurs et travailleuses pressés, mais ils incarnent aussi une consommation peu rationnelle. Il suffit de faire un tour dans les parcs et autres lieux publics agréables de la ville pour voir à quel point ces emballages, devenus déchets en quelques minutes, engorgent les poubelles dès 14 h. Idem dans les poubelles des bureaux. Symptôme de nos vies trépidantes, la pause de midi se résume bien souvent à un empilement de boîtes dégoulinantes ayant accueilli très éphémèrement soupe, nouilles, sushis ou salade végane…

Les déchets de la culture jetable

Pas de statistiques officielles quant à la quantité de déchets plastiques estampillés take away laissés derrière nous. Toutefois, un mandataire de la Confédération évaluait, en 2008 déjà, à un million le nombre de ces contenants (barquettes, gobelets, etc.) utilisés par jour à l’échelle suisse dans les espaces publics. Grâce à la firme Pack2Go Europe, le lobby à Bruxelles de l’emballage plastique, on sait aussi que «les emballages à usage unique aident à assurer l’hygiène dans les 3 millions de restaurants à service rapide, cafés et autres points de restauration en Europe, ce qui représente 21 000 repas servis par seconde», pour citer l’un de ses arguments de promotion. Cela donne une petite idée de la quantité d’emballages à usage unique que génère le seul segment de la nourriture à emporter.

Les emballages du take away ne représentent bien sûr qu’une petite partie du plastique à usage unique utilisé à des fins de conditionnement. Mais ils sont symboliques d’une culture du «tout-jetable» qui participe à la dégradation de la planète.

À Genève, comme dans d’autres villes, ces déchets spécifiques s’invitent dans le débat politique. Les Verts genevois réclament «une gestion exemplaire des emballages et des déchets pour tous les lieux de vente à emporter». Le PLR-Ville de Genève imagine, lui, «introduire un système de consigne pour tous les déchets recyclables sur le territoire municipal», en mettant en parallèle «une filière de recyclage plastique en partenariat avec le secteur privé». «La proposition vise notamment à réduire les emballages d’aliments à emporter», confirme Simon Brandt, candidat du PLR-Ville de Genève en lice pour le Conseil administratif en 2020.

Poubelle d'après lunch de midi, sur les quais du Rhône, à Genève.

Un plan pour tout le canton

Alors que les propositions mijotent au sein des partis, le Département du territoire et les communes sont en train de plancher sur un «plan déchets», actuellement en consultation, dont une des mesures consistera à bannir des produits en plastique à usage unique, entendez non réutilisables, auprès des prestataires exerçant dans l’espace public. Une telle mesure avait déjà été annoncée par la Ville en avril dernier. Si toutes les communes adhèrent, le dispositif pourrait encore gagner en force. Le Conseil municipal de la commune de Thônex vient de donner l’exemple «dans un élan ralliant largement la gauche et la droite», souligne le conseiller administratif Marc Kilcher (PLR), chargé de la Voirie. Concrètement, cela veut dire que les organisateurs de manifestations, les food trucks ou encore les pavillons de glaciers devront utiliser de la vaisselle réutilisable. Finis les gobelets, assiettes et couverts en plastique jetables, tout comme les pailles ou encore les touillettes de café.

Le plan de l’État cherchera-t-il aussi à mettre au pas le secteur privé? Le projet mentionne la volonté de «supprimer les articles en plastique à usage unique dans la restauration à l’emporter», mais sans plus de précisions. Et le Département du territoire ne veut pas encore s’exprimer à ce sujet. «Il faut avancer pas à pas, relève Marc Kilcher. Pour le secteur privé, on peut imaginer qu’un jour les autorisations de vendre des plats à l’emporter seront conditionnées à l’utilisation de matériaux recyclables ou réutilisables, mais il est vrai qu’on n’en est pas encore là.» L’an dernier, la Ville de Neuchâtel s’était cassé les dents dans ses velléités d’interdire l’usage des pailles dans les bistrots, compétence qui relève du droit fédéral.

Cinq jours de repas de midi en boîte Voici l’équivalent, pour une personne, de cinq jours de contenants de nourriture à emporter achetés dans différentes enseignes à Genève, du vendeur de sushis à une grande surface et ses rayons de «take away», en passant par une boulangerie. Sur les boîtes, des sigles minuscules sont censés indiquer le type de plastique utilisé. Mais pas toujours. Certains éléments ici n’étaient pas labellisés. De toute manière, entre boîtes et couvercles en PP, PS ou PET, tout finit brûlé. Pour rappel, concernant le PET, seules les bouteilles sont recyclées. Dans cette image, rien n’est recyclé, sinon le carton, à condition de l’avoir placé dans la bonne poubelle. Les produits en PLA (acide polylactique), ici le couvercle de la boîte en carton, sont compostables, mais il faut faire un sérieux effort pour les repérer. Quant à la provenance du contenant, il n’y a pas de lisibilité possible. Pour limiter l’emballage, une seule solution: changer de mode de consommation. C.M. Photo: Magali Girardin

Le réutilisable fait son chemin

Certaines enseignes préfèrent prendre les devants. Chez Manor, où le rayon des plats à l’emporter est bien fourni en plastique, «des essais prometteurs ont été réalisés avec de nouveaux contenants d’aliments prêts à l’emploi, soit des lunch boxes réutilisables pour des menus chauds ou des salades», précise Andreas Richter, porte-parole. «Au marché Manor Food, à Genève, les lunch boxes seront disponibles dans le rayon take out d’ici à la fin de la semaine prochaine, et un panneau d’information devrait l’indiquer. La boîte sera remplacée par un autre modèle à partir de janvier 2020 environ. Nous travaillons aussi sur un bol de soupe réutilisable et refermable, ainsi que sur des couverts réutilisables.»

D’autres enseignes font alliance avec des prestataires comme Recircle. Cette société bernoise, qui possède des clients dans toute la Suisse, a fait du bol réutilisable son business. Elle propose aux restaurateurs et aux acteurs de la restauration d’entreprise un système de contenants consignés (à 10 francs) et réutilisables. Recircle devrait être rentable en fin d’année (elle vient de célébrer son 1000e client en Suisse). Parmi sa clientèle, on trouve les restaurants de Coop et de Migros, des groupes spécialisés dans la restauration d’entreprise et d’établissements publics, comme SV, Novae ou Eldora, ou encore de petits indépendants, du resto végane à l’enseigne de nourriture asiatique. Elle est implantée dans une soixantaine d’établissements à Genève. «Les motivations de nos partenaires ne reposent pas que sur la conscience écologique, relève Jeannette Morath, directrice de Recircle. Ils y voient aussi un intérêt financier. Pour un emballage en plastique, il faut compter 10 centimes par boîte; notre système basé sur une cotisation annuelle est vite rentable pour le commerçant, d’autant qu’il tend aussi à fidéliser les clients.»

Les boîtes de Recircle sont composées à 70% d’un plastique dur, pour qu’elles puissent être lavées et chauffées, et rester stables pour durer, mais leur écobilan est bon, affirme Jeannette Morath: «Il suffit de sept utilisations pour que le bilan écologique de nos contenants soit meilleur que celui des boîtes jetables en PET ou autres plastiques. Idem pour faire mieux que le carton et le papier au bout de 15 utilisations. Or, nos contenants peuvent être utilisés au moins 200 fois.»

Sébastien Humbert, expert dans l’analyse du cycle de vie des produits au sein de l’entreprise Quantis (lire ci-dessous), confirme l’intérêt de ce type de contenants, mais en y mettant une condition: «Le bol en plastique réutilisable est plus performant que l’emballage jetable en termes d’écobilan, mais il faut faire attention aux conditions de lavage: il faut que la machine qui les lave soit A+++, et surtout que l’électricité utilisée pour ce faire soit renouvelable et non produite par du fuel ou du charbon.»

Faire réfléchir globalement

Plusieurs villes cherchent à encourager les enseignes de plats à l’emporter à opter pour des contenants consignés ou pour le remplissage de boîtes apportées par les clients. Lausanne a désormais un plan allant dans ce sens en collaboration avec GastroLausanne; Neuchâtel a joué les pionniers en lançant au printemps l’opération «Box ton lunch». «À ce jour, vingt-cinq enseignes ont décidé de jouer le jeu, note Laetitia Estève, chargée de projet au Service de la mobilité et du développement durable de la Ville de Neuchâtel. L’action est une aussi une porte d’entrée pour faire réfléchir la population et les entreprises à notre surconsommation.»

Jeannette Morath, elle, imagine bien d’autres domaines d’activité où l’on pourrait rendre les emballages durables, comme celui des innombrables paquets de la vente en ligne. «Nous avons commencé par le marché du «take away» parce que le gaspillage d’emballages alimentaires est très visible. Nous pensons que sensibiliser les gens sur leur lunch de midi les amènera aussi à changer leurs attitudes dans d’autres domaines.»

«En Suisse, il ne faut pas se tromper de cible»

Sébastien Humbert est expert dans l’analyse du cycle de vie des produits au sein de l’entreprise Quantis, société spécialisée dans les écobilans et installée sur le site de l’EPFL à Écublens. Selon lui, il faut sensibiliser la population à la surconsommation de plastique, mais il existe aussi une tendance à diaboliser la matière qui s’avère contre-productive.

Les emballages plastiques à usage unique sont de plus en plus mal vus. A-t-on raison de s’inquiéter de leur abondante utilisation, notamment dans le secteur du take-away?

Cela dépend de quoi on parle. La décision de l’Union européenne de bannir toute une série de produits en plastique à usage unique d’ici à 2021, décision qui va concerner notamment le secteur de la restauration à emporter dans l’UE, a été prise parce que ces objets ont un impact sur les océans. Avec la problématique de la surpêche, cette question de la pollution aux plastiques des mers est importante. Mais on a un peu tendance à tout confondre. En Suisse, la filière du plastique ne pose que peu de problèmes: on recycle bien ce qui vaut la peine d’être recyclé, à savoir les seules bouteilles en PET, on laisse la possibilité aux privés de recycler d’autres matières plastiques – même si c’est difficilement rentable –, et dans un pays où l’on a l’habitude de trier et de bien jeter, ces déchets ne se perdent que très peu dans la nature. Si bien qu’on arrive à brûler la quasi-totalité du plastique jeté, et on le fait dans des conditions optimales, en valorisant ces déchets.

Donc en Suisse, cela ne vaudrait pas la peine de mettre en place des politiques publiques pour freiner les déchets plastiques?

Si, parce qu’il est toujours bon de sensibiliser la population à la surconsommation et à la surproduction de déchets. Mais en ciblant le plastique en soi, on risque aussi de passer à côté des vraies questions. Si on veut faire l’écobilan du take-away, pour reprendre cet exemple, c’est moins l’emballage qui compte que le contenu. En termes de production de CO2, une barquette en plastique de 20 grammes pèse 20 fois moins que les 100 grammes d’émincé de bœuf qu’elle contient… On peut faire le même calcul pour l’eau minérale contenue dans une bouteille en PET qu’on exporte à l’autre bout du monde… Le contenant ne fait pas tout. Il faut faire attention que le débat engagé sur les emballages ne pervertisse pas le questionnement global de la surconsommation.

Mais si on ne s’intéresse qu’aux emballages, il y en a tout de même de plus polluants que d’autres. Comment le consommateur peut-il s’y retrouver?

À conditions égales, le plastique, quel qu’il soit, fait de moins bons résultats en termes de performances écologiques que le carton ou le papier, c’est sûr. Et entre les différents plastiques, il n’y a guère de différences. Le PET n’est pas un label garant d’écologie, comme le croient souvent les Suisses: il émet plus de CO2 que d’autres plastiques à la production et les emballages en PET qui ne sont pas des bouteilles sont brûlés, et non recyclés. Le polystyrène expansé (ndlr: comme les boîtes en mousse de Sagex) est aussi le plus gourmand en CO2 pour le produire et l’éliminer. En résumé, il est bien de réfléchir, là où on peut, à des pistes qui rendraient le plastique jetable non nécessaire. Mais ce n’est pas une mince affaire. Dans l’alimentation, il y a des impératifs d’hygiène et de sécurité qui ne permettent pas de se priver de plastique. Pour certains usages, le réutilisable est une bonne alternative, cependant il faut bien prendre en compte toutes les variables. Si l’énergie utilisée pour maintenir le produit réutilisable dans l’économie circulaire n’est pas renouvelable, alors le bilan écologique de ce dernier peut vite se dégrader. C.M.

La planète n'arrive plus à gérer son plastique

En l’espace de soixante ans, les Terriens sont devenus littéralement avides de plastique, matière très utile et présente dans à peu près tous les objets du quotidien, mais qui pose de sérieux problèmes à cause de son caractère non biodégradable. Débordée par cet excès de production – un total cumulé de 8,3 milliards de tonnes depuis les années 50 –, la planète n’arrive plus à gérer: 4/5e du plastique produit est devenu un déchet; il se retrouve partout, au mieux enfoui sous la forme de déchets de combustion dans des sites de stockage, au pire dans la nature et les océans, sous forme de macro, micro ou nanodéchet. À l’échelle mondiale, seule une toute petite part (9%) a été recyclée. De plus, non seulement la production de plastique croît de manière exponentielle, mais la part de cette production à des fins d’emballage a pris des proportions énormes: elle représente désormais 50% de la masse totale.

Devant la problématique émerge le temps de décisions concrètes, aidées par des images chocs. Celle de tortues de mer agonisant dans des sacs plastiques a sans doute aidé l’UE à bannir, d’ici à 2021, toute une série de produits en plastique banals, soudain devenus le reflet de notre mode de vie d’hyperconsommateurs: pailles, gobelets, assiettes, barquettes en polystyrène expansé, cotons-tiges, touillettes de café, tiges de ballon… Ces objets n’ont pas été choisis au hasard: ils représentent 70% des déchets en plastique que l’on retrouve sur les plages européennes. Les matières plastiques pèsent globalement pour 85% des déchets marins.

Une plage d'Accra, au Ghana. DR

Que faire à l’avenir pour réduire la part de plastique à usage unique à des fins d’emballage? Plusieurs philosophies s’affrontent. Du côté de la grande industrie agroalimentaire, on mise sur de nouvelles technologies pour trouver des emballages innovants. Nestlé s’est fixé d’atteindre 100% d’emballages recyclables ou réutilisables d’ici à 2025. À la mi-septembre, la firme inaugurait à Lausanne son Institute of Packaging Sciences, chargé de plancher «sur des matériaux simplifiés, recyclables, réutilisables, compostables ou biodégradables».

Certaines organisations écologiques sont sceptiques et craignent une fuite en avant de l’industrie. «La grande industrie agroalimentaire fait des recherches sur le bioplastique par exemple. Or, cette solution sacrifie des terres agricoles pour produire encore plus d’emballages plastiques, dit Mathias Schlegel, porte-parole de Greenpeace. Pour réduire la production de déchets plastiques, il faut introduire la responsabilité élargie des producteurs, de la confection des produits jusqu’à leur élimination, revoir les processus de commercialisation et de distribution et privilégier le réutilisable.» C.M.

Created By
Tribune de Genève
Appreciate

Credits:

DR