Rugby : Jean Fabre, la trahison de 1991 Dimanche, le rugby français a voté un nouveau président, Bernard Laporte. Il y a 25 ans, il devait s’appeler Jean Fabre. Mais, promis au trône, l’Aveyronnais a été victimede trahisons, luttes de pouvoir et petits arrangements de dernières minutes. Retour sur ce coup de théâtre ahurissant au plus haut sommet.

Aujourd’hui, Jean Fabre dit « n’en vouloir à personne ». Il en rigole même quand on lui demande de se replonger dans ses souvenirs : « ça ferait une belle histoire de cinéma, hein ? Car c’est quand même fou ce qu’il s’est passé ce soir-là...»

Ce soir-là, c’était il y a un quart de siècle déjà, le 14 décembre 1991, dans les bureaux de la Fédération française de rugby à Paris. Ce soir-là, Jean Fabre devait devenir président, il était d’ailleurs le seul candidat déclaré à la succession d’Albert Ferrasse, en place depuis 23 ans. Mais ce soir-là, c’est un certain Bernard Lapasset qui est monté sur le trône. Il n’était alors que président du comité Ile-de-France et son nom n’était jamais apparu dans la course... Pourtant, il a récolté 21 voix, contre dix pour l’Aveyronnais. Un sacré coup de Jarnac !

« Je crois qu’il y a eu de la trahison dans l’air...», s’était alors écrié Jean Fabre en claquant la porte du comité de direction... Il avait vu juste. Ses alliés d’un jour venaient de se retourner contre lui. Pourtant, lors du congrès de Blois six mois auparavant, le rugby hexagonal l’avait adoubé. Les «élites» et «Tonton» Ferrasse avec. Ce dernier avait même présenté Jean Fabre comme son digne successeur à la tribune... La liste d’opposition, menée par Robert Paparemborde et le « fils déchu » Jacques Fourroux, n’avait alors plus de voix. Et le douanier Bernard Lapasset n’apparaissait sur aucun radar...

Avec le "Stade Ruthénois rugby", Jean Fabre est le huitième joueur debout en partant de la gauche.

Sauf qu’en étant grand seigneur, et en acceptant de laisser à son allié, Albert Ferrasse, la présidence jusqu’à décembre - Coupe du monde oblige -, Jean Fabre n’a pas vu venir la trahison des siens. «Oh, je l’avais bien un peu senti tout de même...», assure-t-il néanmoins aujourd’hui. Il en a même été convaincu lorsqu’au tout début du comité directeur décisif, ses alliés de toujours et ceux de circonstance, les « pro-Ferrasse », ont demandé un vote à bulletins secrets. Avec la suite qu’on connaît...

Jamais depuis, Jean Fabre ne s’est lancé dans une chasse aux sorcières. Il n’a pas, non plus, cherché à savoir ce que Lapasset avait bien pu préparer dans son dos. Il a quitté le monde du rugby. Avec une conviction : le changement n’a pas que du bon dans ce vieux monde. «J’incarnais ce changement, les autres la continuité. Et malheureusement, c’est difficile de se dire qu’on va peut-être en finir avec sa belle vie à la Fédération faite de grands hôtels et voyages. Surtout lorsqu’on vote secrètement...», souffle l’ex-président du Stade Toulousain. Quant à Bernard Lapasset, toujours sur le devant de la scène aujourd’hui, Jean Fabre ne lui en veut pas non plus : «Il y a prescription. En revanche, on ne passera pas nos vacances ensemble (rires). Comme j’ai toujours dit : je préfère être un mauvais stratège mais me regarder dans la glace tous les matins».

Juste sourit-il aujourd’hui quand il le voit être le porte-voix officiel de la France pour l’organisation des Jeux olympiques à Paris en 2024. Car ces JO justement, ils étaient au centre du programme de Fabre à l’époque. Il souhaitait y faire entrer le rugby, Lapasset s’y était opposé. Fabre souhaitait aussi une Coupe d’Europe des clubs. Lapasset s’y était aussi opposé avant de devenir le chef du rugby mondial. Fabre préconisait également le professionnalisme. Et Lapasset y a cédé en 1995, sous la pression. Fabre avait aussi ce projet d’une élite resserré avec un Top 12... C’est un Top 14 aujourd’hui. Bref, Jean Fabre avait un côté visionnaire. Mais un peu trop tôt certainement.

«Si j’avais su, j’aurais pris le pouvoir quand je le pouvais au congrès de Blois... Et il n’y aurait pas eu ces six mois durant lesquels tout a changé», regrette-t-il seulement aujourd’hui. Toujours avec le sourire, le temps effaçant la colère.

Jean Fabre a évolué avec le Stade toulousain de 1961 à 1967.

« Presque rien n’a changé depuis...»

Il n’est jamais reparti au combat, ni même ne s’est réinvesti dans un club. Pourtant, l’amour de Jean Fabre pour le rugby est resté intact. Le « Midol » n’est jamais bien loin de lui et l’ex-président du Stade Toulousain suit attentivement l’actualité de ce sport auquel il a dédié une très grande partie de sa vie. Alors, ces derniers mois, il s’est délecté de la course à la présidence de la FFR. Il a même tenté de faire un peu de lobbying ici et là pour son candidat : Alain Doucet.

Ce candidat, il l’a notamment choisi pour son opposition au Grand stade, projet phare de Pierre Camou. «C’est une folie», dit-il.

Mais plus que ce point précis, Jean Fabre est surtout inquiet. Très inquiet pour l’avenir de son sport. « Il faut arrêter de nous comparer au football ! Nous ne sommes pas un sport universel mais localisé. Et dans ces cas-là, il faut être très prudent. Car quand la différence est trop grande entre l’élite et la base, le danger est fort. On en a eu l’exemple avec le XIII... », martèle-t-il. Puis il y aussi ce rugby dévoué à l’argent qu’il a parfois du mal à suivre. «Je ne peux pas comprendre qu’un homme seul possède un club et spécule dessus comme on peut le voir actuellement ! Les associations doivent reprendre le pouvoir comme au Stade Toulousain. Car aujourd’hui, on se retrouve dans des situations folles dans lesquelles chacun fait une course au recrutement en délaissant totalement la formation. Mais que voulez-vous faire ? On n’a toujours pas réglé le problème des doublons ! Alors, les présidents sont obligés de se munir de deux équipes. Et encore une fois, ce sont nos jeunes qui en pâtissent», s’emporte-t-il avant de poursuivre :

« Et quand je vois qu’en Fédérale 1, on file 3 000 € à un joueur sans rien à côté, ça me rend fou ! Il faut penser à l’homme, le former professionnellement. Au Stade Toulousain, on a mis un système de formation professionnelle en place depuis 1987. Plus de 450 joueurs en ont bénéficié. Et 50 sont devenus ingénieurs ! Ça, c’est ma plus grande fierté. »

Ces débats, Jean Fabre ne cesse de les remettre au centre des discussions. Toujours avec passion. Mais malheureusement, il n’est que peu optimiste pour la suite. Car comme il dit : «Presque rien n’a changé depuis 1991 ». « Je ne me fais guère d’illusions avec ces élections. Car tant que le système sera toujours autant verrouillé, rien ne changera. Si on veut redonner le pouvoir aux clubs, il faut un vote décentralisé. Et on le refuse encore au sommet », souffle-t-il.

Le mystère de la dixième voix plane toujours...

A chaque trahison et lutte de pouvoir, ses non-dits et autres mystères. Un en particulier entoure toujours ce fameux vote de 1991 et les dix voix obtenues par Jean Fabre. Car dès la sortie du comité directeur, Jacques Talmié et Michel Crauste ont affirmé avoir donné leur voix au Toulousain. Le président sortant Albert Ferrasse et Francis Sénégas aussi... ce qui, ajouté aux sept voix du clan Fabre, portait le total à 11, soit une voix de trop.

« J’en ai marre, la plaisanterie a assez duré ! J’ai respecté ma parole en votant pour Jean Fabre et on m’accuse d’avoir foutu la pagaille », s’était emporté devant les médias Albert Ferrasse le lendemain de l’élection répondant aux accusations d’être le chef de file de cette trahison. Alors, n’a-t-il juste pas pu tenir ses hommes ? « J’ai ma petite idée. Mais c’est du passé... », a simplement soufflé Jean Fabre cette semaine. Le mystère plane donc toujours.

Tous droits réservés : Centre Presse Aveyron.

Textes : Mathieu Roualdés. Crédit images : archives Centre Presse Aveyron, reproduction Centre Presse Aveyron, archives Stade Toulousain. Décembre 2016.

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