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Croire c'est ramer Marc 6, 45-52

LECTURE BIBLIQUE : Marc 6, 45-52

Aussitôt après, Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque pour qu'ils le précèdent sur l'autre rive, vers la ville de Bethsaïda, pendant que lui-même renverrait la foule. Après les avoir congédiés, il s'en alla dans la montagne pour prier.

Le soir venu, la barque était au milieu du lac, et Jésus seul à terre. Il vit que ses disciples avaient beaucoup de peine à ramer, parce que le vent leur était contraire ; alors, vers la fin de la nuit, il se dirigea vers eux en marchant sur le lac, et il voulait les dépasser.

Quand ils le virent marcher sur le lac, ils pensèrent que c'était un fantôme et ils poussèrent des cris. En effet, tous le virent et furent troublés. Mais aussitôt, il leur parla : « Courage ! leur dit-il. C'est moi, n'ayez pas peur ! »

Puis il monta dans la barque, auprès d'eux, et le vent tomba. Les disciples furent frappés de stupeur, car ils n'avaient rien saisi au sujet des pains : ils refusaient de comprendre.

PRÉDICATION DU PASTEUR RUDI POPP - Dimanche 22 mars 2020

En ce premier dimanche de carême sous confinement, la lecture de l’Evangile vous invite à ouvrir votre coeur pour aérer votre espace de vie intérieur, pour dépolluer en quelque sorte l’espace de la foi des idées pieuses que vous vous êtes faites.

La Bible nous propose un type d’air frais qui non seulement chasse les polluants, mais qui nous demande systématiquement de douter de notre religion. Au mépris des idées reçues sur la prétendue opposition de la foi et du doute, nous apprenons à travers la lecture éclairée de la Bible de ne pas prendre nos croyances pour la foi de Dieu, mais d’apprendre à croire tout au long d’une vie spirituelle qui a constamment besoin d’aération, de renouvellement de l’air spirituel que nous respirons. La foi de Dieu nous expose à ce risque du renouvellement constant, ce risque que nous pouvons appeler le doute, et dont la pratique est essentiellement liée à la prière.

Le doute est une étape essentielle de la vie avec Dieu. Qui ne doute pas, n’aère pas son espace de foi, et ne doit pas s’étonner qu’un jour, l’air religieux et spirituel devienne insupportablement lourd et irrespirable. Qui ne doute pas a cessé d’ouvrir véritablement la fenêtre sur son espace intérieur, sa Bible, tout en la feuilletant peut-être tous les jours. Bref : Douter n’est pas le contraire de croire ; douter est vital pour la vie de la foi. Et il se trouve que c’est Jésus lui-même qui nous donne l’exemple pour l’exercice du doute de ses disciples.

Dans l’Évangile selon Marc que nous avons lu, il est souvent question des doutes de ceux que Jésus avait choisis pour rester avec eux. Souvenez-vous que Jésus appelle les premiers disciples qui étaient pécheurs sur la mer de Galilée en leur disant qu’il ferait d’eux des « pécheurs d’hommes ». Ensuite, nous dit l’évangéliste Marc, il en appelle d’autres, pour arriver au chiffre de la plénitude : douze. Il leur donne le nom d’apôtres, « pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer proclamer, avec l’autorité pour chasser les démons ». Jésus les enseigne, mieux : il «expliquait tout» à ses disciples, nous dit Marc. Une formation spirituelle parfaite, donnée par Jésus lui-même, avec exercices pratiques.

Nous reconnaissons ainsi dans ces disciples l’idéal de la suivance de Jésus : ils semblent bénéficier de conditions exemplaires pour une vie de foi impeccable. Ils auraient dû être à mille lieues du moindre problème d’incompréhension de la foi. Des convertis tout frais, ils auraient dû être loin de quelque idée reçue qui empêche de croire.

Et pourtant, Marc nous raconte qu’ils n’arrivaient souvent pas à respirer tellement l’air frais de la foi de Dieu leur manquait, tellement l’angoisse occupait totalement leur espace intérieur. Déjà au chap. 4, dans le passage sur la tempête que Jésus apaise, on assiste à leurs doutes et à leur angoisse.

Et comme si cela n’avait pas suffi pour montrer que les disciples doivent encore apprendre à gérer le vent frais et parfois tempétueux de la vie avec Dieu, Jésus les renvoie sur le lac, dans la suite du récit sur la multiplication des pains. L’évangéliste précise même que Jésus obligea ses disciples à monter dans le bateau, tout seuls ; ils doivent affronter à nouveau les vents de la mer de Galilée, et cette fois sans sa présence.

Jésus, lui, s’en alla sur la montagne pour prier.

Considérez bien la situation : Jésus est conscient que sa présence permanente n’aide pas les disciples à affronter les vents de la réalité. Il sait que les disciples doivent se séparer de lui pour apprendre à croire, pour apprendre à vivre. Il les envoie donc, pour ainsi dire, dans la gueule du loup, au plein milieu de la réalité tempétueuse du monde.

La mer, dans la symbolique biblique, est ce lieu du chaos, de l’abîme, de la perte des repères, voire de la mort. Pendant que Jésus prend de la hauteur pour prier, les disciples sont envoyés « en bas », dans leur bateau qui représente si bien la fragilité de notre vie de foi sur l’océan des angoisses, des religions et des idéologies.

Le soir venu, le bateau était au milieu de la mer, et lui seul était à terre.

Les disciples dont exposés à cette épreuve qui ressemble à ce que nous connaissons aussi, dans notre vie de foi : ils avaient beaucoup de peine à ramer, car le vent leur était contraire. Oui, l’évangéliste n’y va pas par quatre chemins : la vie de foi, cela veut dire qu’on rame, et que le vent est contraire ! Voici le moment clé du doute. C’est maintenant qu’il s’agit d’affronter ses angoisses, d’admettre son découragement, de ne pas faire du théâtre religieux. C’est le moment de vérité des disciples. On imagine d’ailleurs bien, dans le récit, qu’ils ont pu s’engueuler en se faisant toutes sortes de reproches, du genre : Tu ne rames pas assez ! Ou : Tu rames dans le mauvais sens ! etc. - Bref, exactement ce que nous connaissons dans notre vie d’Église.

Et Jésus ? Il est mystérieusement présent, à distance. Voyant qu’ils avaient beaucoup de peine, vers la quatrième veille de la nuit il vient vers eux en marchant sur la mer, et il allait les dépasser.

Les doutes des disciples vont maintenant s’exprimer dans un autre sens : Quand ils le virent marcher sur la mer, ils pensèrent que c’était un fantôme, et ils poussèrent des cris ; car ils le voyaient tous, et ils étaient troublés.

Les disciples continuent à gueuler, mais cette fois-ci, c’est par un conflit d’interprétation, pour ainsi dire. Ils ne savent pas comment cette expérience mystique, cette apparition mystérieuse se relient à leur peine et à leurs doutes. Ils ne sont certainement pas d’accord sur la signification de ce phénomène. C’est encore pire que l’angoisse : ils se reprochent mutuellement de voir des fantômes. - Bref, c’est exactement ce que nous connaissons dans notre vie d’Église.

Aussitôt Jésus parla avec eux ; il leur dit : Courage ! C’est moi, n’ayez pas peur !

Puis il monta avec eux dans le bateau, et le vent tomba.

Seulement la parole de Jésus va les faire sortir de ce moment de doute que les disciples n’avaient ni choisi, ni maîtrisé. Le fait que Jésus marche sur les abîmes des angoisses et de la mort anticipe, dans ce récit, sa résurrection ; mais cela n’empêche en rien les disciples de rester dans leur état de confinement spirituel.

En eux-mêmes, ils étaient tout stupéfaits ; car ils n’avaient rien compris à l’affaire des pains : ils étaient encore obtus.

Nous pouvons en effet nous reconnaître dans ces disciples, non pas comme dans un idéal pieux de la suivance de Jésus, mais justement parce qu’eux aussi, ils n’arrivent souvent pas à respirer tellement l’air frais de la foi de Dieu leur pose problème, tellement l’angoisse occupe leur espace intérieur.

Nous devons comme eux accepter de partir seuls sur la mer des abîmes de ce monde. Nous le faisons en ouvrant nos Bibles pour aérer notre espace de vie intérieur, pour dépolluer l’espace de la foi des idées pieuses que nous nous sommes faites. Oui, la Bible nous demande systématiquement de douter de notre sécurité dans la vie et dans la religion : nous pouvons ainsi apprendre à croire et à croître tout au long d’une vie spirituelle qui a constamment besoin d’aération, de renouvellement de l’air spirituel que nous respirons.

Le doute comme une étape essentielle de la vie avec Jésus nous préserve d’une fausse quiétude et de la peur des fantômes, au bénéfice de la bonne disposition pour écouter Jésus nous dire, calmement : Courage ! C’est moi, n’ayez pas peur ! Amen.

Created By
Rüdiger Popp
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Credits:

Inclut des images créées par Vidar Nordli-Mathisen - "Rowing" • Alexander Andrews - "untitled image" • Rob Wingate - "untitled image" • Max van den Oetelaar - "Just as we were peeking through Zakynthos’ blue caves, a boat aligned right through multiple caves." • Frame Harirak - "Meadow"