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"Aujourd’hui, je me demande si je serais un bon père..." Toute son enfance, Jérôme a vu son père tabasser sa mère. La trentaine approchant, il raconte la colère de l'enfant mais aussi les doutes de l'adulte qu'il est devenu. Récit.

Silhouette élégante. Sourire ultra-bright. Lui vient des beaux quartiers du bassin cagnois. Il a grandi avec "des parents qui se sont déchirés au quotidien". Jérôme [son prénom a été modifié pour préserver son anonymat] vient de souffler sa 29e bougie. Il déteste fêter ses anniversaires...

"Le jour de mes 7 ans, ils se sont disputés pour une histoire de gâteau. Les assiettes ont volé. Les hurlements." Les coups qui pleuvent. Sa mère qui pleure. Enfance traumatisante. Enfant traumatisé. L’angoisse. La peur. La haine. La colère.

"Chacun avait un rôle à tenir"

"Ma mère était femme au foyer. Mon père, un homme d’affaires reconnu. Le genre de monsieur respecté. Quand il y avait des dîners organisés à la maison, devant les invités, c’était comme si chacun avait un rôle. Il fallait le tenir: enfant sage, brillant à l’école. Couple parfait: une belle situation, une grande villa. Et souvent, dès que les invités partaient, c’était une autre ambiance. Pour une phrase que ma mère avait pu dire, un truc qu’elle avait mal fait, là, ça tombait. Personne ne se doutait de rien. Il n’était pas fou, il ne la frappait jamais au visage. Et elle cachait tout. Dès que mes parents me disaient: 'Va dans ta chambre', je savais parfaitement ce qu’il se passait, même si j’étais petit."

Les bruits. Les cris. "Après les crises, c’était mon père qui me faisait un bisou pour m’endormir. Mais moi, je n’arrivais pas à dormir. Je rêvais de le tuer! Qu’il meure! Je me disais: 'Quand tu seras grand, tu vas le buter'."

"Viens maman, on s'en va"

Le petit garçon devient grand. "Adolescent, j’ai pété un câble. Je me battais souvent. Je provoquais, juste pour me battre. Toujours avec des mecs costauds." Avec les filles, "c’était tout à fait autre chose. J’étais et je suis toujours ultra-protecteur".

Embrouilles. Conneries. Fumette... "J’étouffais dans ce rôle de petit-bourgeois." Les parents se font convoquer au collège. C’est le déclic pour l’adolescent. Il parle, d’abord, avec sa mère. "D’un coup, mes parents me demandaient pourquoi je me battais... Avec le recul, c’était drôle: tout ce non-dit... En fait, les violences, c’était un sujet extrêmement tabou. Un jour, j’ai discuté avec ma mère. J’en avais besoin. On a pleuré. On s’est pris dans les bras. J’avais besoin de lui dire que j’étais là."

Mais, très vite, sa colère s’est retournée contre sa mère. "Après cette discussion franche, combien de fois, je lui ai dit: 'Viens maman, on s’en va. Tu ne peux pas continuer comme ça. Tu mérites mieux!' Et combien de fois, elle m’a répondu: 'J’aime ton père. Nous sommes heureux, malgré tout'. Et ça, ça me rendait complètement fou! Ce 'malgré tout'."

"Je n’ai plus de lien avec mon père"

La parole de Jérôme libérée, il trouve une oreille attentive: celle de sa tante maternelle. "Au départ, elle ne voulait pas y croire. Et puis, j’ai apporté des preuves. Je lui ai demandé de passer à l’improviste un soir, sans prévenir. Et là, elle a compris plein de choses. Peu de temps après, ma mère a lâché le morceau. Jamais devant mon père, juste avec sa sœur."

Sa mère quitte son père. Va s’installer à l’est du département, chez sa sœur. "Comme ma mère n’avait pas de revenus, il n’y avait pas mille possibilités. Ma tante nous a accueillis pendant près d’un an. Là, j’ai compris ce que c’était une famille. J’étais sécurisé. Je suis rentré au lycée: nouvelles têtes, une réputation neuve. C’était une remise à zéro. Ma mère a eu le courage de demander le divorce, de trouver un emploi. Ça a pris du temps. Des procédures, les avocats. Je ne me souviens plus vraiment, mais je sais que c’était long et je me souviens surtout que mon père ne lâchait rien. Il a voulu retourner le cerveau de ma tante. Mais, ça n’a pas fonctionné. Et avec ma famille paternelle, ça a explosé. Pour certains, nous étions des menteurs. Désormais, je n’ai plus de lien ni avec mon père, ni avec une partie de sa famille. Je suis en rupture depuis des années."

"Ce qui m’a sauvé..."

Aujourd’hui, Jérôme "a toujours une relation fusionnelle avec [sa] mère" et il est amoureux depuis six ans. "Ma compagne est psy...Je pense que ce n’est pas pour rien", arrive-t-il à dire, dans un sourire.

"Ce qui m’a sauvé, c’est l’école, c’est ma tante. Ma mère aussi parce que ça lui a demandé beaucoup de courage. Et puis, ma longue thérapie aussi. J’ai eu des réponses. J’ai compris qui était mon père, pourquoi il faisait ça. Ça ne veut pas dire que je suis dans le pardon. En ce moment, ma compagne me parle de bébé. Moi, aujourd’hui, je me demande si je serais un bon père...."

Created By
Sahra Laurent
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Credits:

Photo Adeline Lebel