Les sportives calvadosiennes à cœur ouvert Salaires, regard des autres, contraintes, atouts. Loin des terrains, les sportives calvadosiennes racontent leur quotidien.

Sandra Dijon : « Notre condition a évolué, mais très lentement »

Joueuse de Douvres (N3F), l'intérieure Sandra Dijon a notamment connu l'équipe de France, Bourges et Mondeville dans sa longue et belle carrière professionnelle.

Des salaires à sa maternité en pleine carrière en passant par les tracas du quotidien, la basketteuse Sandra Dijon évoque sans tabou les obstacles rencontrés par la femme sportive à haut niveau.

La médiatisation : « Ça a bougé un peu, mais… »

« Notre condition a évolué, mais très lentement. Quand j’ai commencé le basket, les filles n’étaient pas du tout médiatisées. Avec les résultats de la sélection (championnes d’Europe en 2001), ça a bougé un peu. Mais aujourd’hui, quand on regarde les chaînes gratuites, on ne peut voir que des matches de garçons. »

Les salaires : « Aller à l’étranger pour être bien payée »

« En termes de salaires, rien n’a évolué. Il y a beaucoup de choses que les garçons ont et que les filles n’ont pas. Si tu veux être bien payée, il faut aller à l’étranger et avoir un statut. »

C’était mon cas. En gros, pour une femme, cela veut dire être en équipe de France. Tu peux en vivre car il y a des gens qui ont beaucoup moins que nous, mais la différence est grande avec les hommes.

C’est en Lettonie ou en Corée du Sud que j’ai pu accéder à de beaux contrats, parce que j’étais considérée comme une étrangère. En plus de cela, comme Isabelle Yacoubou, j’avais un profil atypique, avec une morphologie hors normes. Mon plus beau contrat, c’était autour de 300 000 € (sur dix mois). »

En bleu : « Chez les filles, tu ne ramènes pas ton copain »

« Un truc tout bête : les garçons peuvent avoir leur copine et leurs enfants auprès d’eux pendant les compétitions internationales. Chez les filles, tu ne ramènes pas ton copain. Ça a pu déjà arriver, mais ça ne se fait pas trop, ce n’est pas forcément bien vu. »

La maternité en pleine carrière : « Le staff n’en a rien à cirer »

« Rares sont les joueuses qui deviennent mamans durant leur carrière. Elles ne veulent pas, car rien n’est prévu pour que ça se passe bien. Il faut donner le biberon à 4 h du mat’, jouer ton rôle de maman car tu ne veux pas laisser certaines choses à la nounou. Ton gamin, tu ne peux pas le laisser dans un coin. Mais ça, le staff n’en a rien à cirer. »

Repousser la maternité à l’après-carrière, c’est ce que la plupart font car c’est ingérable. Des 3 mois de Melvyn (son fils, aujourd’hui intérieur de Nancy en Pro A) à ses 13 ans, je n’ai constaté aucune évolution.

Pour revenir en forme, il faut savoir tirer la langue. C’est un choix que tu fais. Tu as intérêt à assurer et à assumer, seule. Quand je suis arrivée à Bourges, ça a été la catastrophe. J’élevais Melvyn seule. La nounou dormait à la maison mais à 4 h du mat’, tu joues ton rôle de maman et tu donnes le biberon. Il y a certaines choses que tu ne veux pas laisser aux autres. Sauf qu’à 8 h, il faut être à l’entraînement. Pierre Vincent me donnait un entraînement supplémentaire régulièrement, en me demandant d’arriver une heure plus tôt que les autres. Il n’en avait rien à cirer. »

Le management : « Si un coach fait son coq de la basse-cour… »

« Aussi bizarre que cela puisse paraître, quand une joueuse a ses règles, toutes les autres les ont en même temps. Ça influe forcément sur les performances. Tu es tout de suite plus nerveuse. Quand ton coach te crie dessus, tu peux partir au quart de tour.

Il y a des jours où ça ne va pas, d’autres où on gueule pour rien. C’est ce qui fait notre particularité. Beaucoup d’entraîneurs ont du mal à gérer des groupes de filles. Si un coach fait son coq de la basse-cour, ça ne passera pas ! S’il est plus protecteur, plus à l’écoute, ça ira beaucoup mieux. Durant ma carrière j’ai eu les deux versions. »

« Tous les stéréotypes, j’ai dû les combattre »

Mélissa Dumarais, 25 ans, haltérophile au CCHM Caen

Mélissa Dumarais pratique l'haltérophilie depuis 15 ans.

Dans un univers d’hommes… « Je pratique un sport que l’on considère plutôt comme masculin. Mais ça fait quinze ans que j’en fais et j’ai trouvé ma place. Avec les hommes du club, on s’entraîne toujours ensemble et ça se passe très bien. Mes résultats instaurent aussi un certain respect. Entre eux et moi, les mouvements à réaliser sont les mêmes. On se comprend. On participe même à la Coupe de France mixte par équipe. Ce sera dans deux semaines et on est tenant du titre. »

… devenu un peu plus féminin. « C’est une discipline qui s’est féminisée depuis son arrivée aux Jeux Olympiques pour les femmes, en 2000. À Caen, je l’ai pratiquée avec un noyau de jeunes filles, à partir de 2004. On a excellé ensemble en équipe, ça nous a incitées à continuer dans cette voie. Ça me plaît d’avoir un corps de sportive. Après, l’haltérophilie est complètement différente du culturisme. Je ne me regarde pas dans le miroir tous les jours, il n’y a pas cet aspect culte du corps. »

Des clichés à chasser. « Je n’ai jamais eu de souci avec les hommes de mon club. À l’école et dans le domaine privé, en revanche… J’entendais pas mal de remarques comme : « une fille qui fait de l’haltérophilie ? Tu ne tiendras pas, tu vas te casser le dos ». Tous les stéréotypes, je les ai entendus et j’ai dû les combattre. »

KB Sharp, au cœur du « je »

KB Sharp, 35 ans, américano-française, arrière de l'Uso Mondeville

Née dans l'Ohio, KB Sharp vit en France depuis 2006.

Elle a grandi dans un pays - les États-Unis - où le sport est un plat qui se mange « show ». Elle pratique une discipline - le basket - dans laquelle l’argent, surtout chez les hommes, coule à flots. Installée en France depuis 2006, KB Sharp a accepté d’évoquer de sa vie de femme, l’argent, son désir d’avoir un enfant. Sans langue de bois ni tabou.

Argent content

« Je n’ai jamais joué pour l’argent, toujours écouté mon cœur. J’ai refusé de jolis contrats parce que ma priorité, c’était d’être épanouie. Pour ça, je pense que je suis plus Française qu’Américaine (rires). Je considère avoir bien gagné ma vie. Parfois, je me demande ce que j’aurais pu faire avec tout l’argent que gagnent les garçons. J’aurais acheté quoi ? Une belle voiture ? Une grosse maison ? Et je me serais sans doute ennuyée. »

Je suis heureuse parce que j’ai gagné suffisamment d’argent pour prendre soin de ma famille. Il y a 20 ans, ma mère s’est démenée pour me permettre de jouer au basket, de voyager. Aujourd’hui, je suis heureuse d’avoir pu le lui rendre, de lui avoir fait découvrir Rome, la France, des endroits qu’elle n’aurait jamais vus si je n’avais pas fait cette carrière. Aider les gens qu’on aime, c’est l’essentiel. Le reste… »

Les règles, ce sujet tabou

Ça me fait rire parce qu’on a l’impression que c’est quelque chose de grave, qu’il ne faut surtout pas en parler. Jamais depuis le début de ma carrière je n’ai abordé ce sujet-là avec un coach. Moi, j’ai eu la chance de ne jamais en avoir trop souffert. J’ai un peu mal au dos, je suis un peu plus irritable, plus fatiguée, moins motivée mais ça n’a jamais eu de répercussions sur mon jeu.

Globalement, je pense qu’il est plus facile de coacher des femmes. Pour un entraîneur, il faut juste faire attention à la manière dont tu dis les choses. Moi, je suis susceptible, un peu chiante. Au lieu d’écouter et de retenir ce qu’on me dit, je réfléchis à pourquoi il me dit ça à ce moment précis. Un garçon va s’énerver, une fille va plutôt se renfermer. »

« J’ai mis ma vie sur pause »

« À 35 ans, ce n’est plus possible de faire un enfant et d’espérer revenir au top de sa forme. J’aimerais avoir un enfant, mais plus je vieillis et plus j’ai peur de ne pas en avoir. Peur d’avoir perdu trop de temps, d’avoir des regrets. Depuis que j’ai 18 ans, j’ai donné la priorité à ma carrière. Et souvent, je me dis que j’ai mis ma vie sur pause. Je n’ai pas le sentiment d’avoir grandi. J’aime ma vie mais j’ai l’impression de rater plein de choses. »

Quand je rentre aux États-Unis, mes parents ont un peu vieilli, mes neveux, beaucoup grandi. Quand je vois mon frère jumeau aussi complice avec ses enfants, ça me rend parfois triste. Je me dis que j’aurais pu vivre ça, moi aussi. Si c’était à refaire, je ferais un enfant plus tôt. Je ne pouvais pas savoir que ma carrière durerait aussi longtemps. »

« Laisser du temps au temps »

Hilde Van Herwijnen joue en D2 féminine devant une trentaine de spectateurs.

Hilde Van Herwijnen, 23 ans, capitaine de l’AG Caen football.

« Il y a un léger manque d’intérêt, on est assez méconnu. Même les gens du coin ne savent pas, ou ne se rendent pas compte qu’on joue en D2. Peut-être que le manque de considération vient du fait qu’aucune équipe, que ce soit Cormelles ou Condé-sur-Noireau, n’est restée assez longtemps au haut niveau. Peu de clubs alentour croient en nous.

On joue souvent devant peu de personnes, juste nos amis et nos proches, en général. J’aimerais beaucoup plus de monde, comme quand on a des matches à enjeu ou contre des équipes connues (Lille, Brest, Lorient). Je me rappelle que quand je jouais à Guingamp, en équipe B, on avait plus de supporters. Après, c’est vrai que par rapport au football masculin, ce sont deux sports différents.

Le manque de spectateurs ou de reconnaissance, je ne pense pas que ce soit du fait qu’on soit une équipe féminine. Je trouve qu’on est bien respecté. Quand on dit qu’on est joueuse de football, il n’y a pas de remarque. Un peu de surprise, mais en général, ça plaît.

A l’AG Caen, il n’y a pas de rémunérations. Mais c’est le cas dans pas mal de clubs de notre niveau. Et puis, quand il y en a, ça provoque des tensions dans le vestiaire, dû aux inégalités salariales entre les joueuses.

Avant, il fallait faire 40 kilomètres pour trouver un club avec une section féminine. Maintenant, le football féminin est entré dans les mœurs. Et on sent l’évolution, même au niveau de la fédération, qui veut développer cela.

Ce qu’il manque encore ? Il faut laisser du temps au temps. Que les gens sachent qu’on existe, qu’on montre ce qu’on vaut. Et si on veut une certaine reconnaissance, il nous faut rester au haut niveau. »

Didier Godefroy écoute, s’adapte, accompagne

Didier Godefroy aime ses joueuses. Cela se sent, cela se voit.

Didier Godefroy, 56 ans, entraîneur du CB Ifs (N1F)

Il a un CV chargé. Et près de 30 ans d’expérience derrière lui. D’abord entraîneur des hommes, notamment au Caen BC, Didier Godefroy s’est ensuite engagé dans le basket-ball féminin. « Sincèrement, j’ai fait ce choix pour savoir si j’en avais les compétences. » Direction le centre de formation de Mondeville, puis celui de Bourges. Avant d’entraîner Ifs, en Nationale 1. Un parcours qu’il « ne regrette absolument pas. Ce basket me correspond également ».

Un management différent

« Il y a évidemment des cas particuliers, mais je dirais que souvent, chez les garçons, le conflit permettait de débloquer certaines situations. Dans le sport féminin, à mes yeux, l’accompagnement est plus bienveillant, pour aider certaines à prendre confiance, à devenir compétitrices.

À mon sens, il n’y a aucune différence dans le niveau de motivation ou l’implication. Mais je dirais qu’il y a certainement des différences dans le management. Le mot concurrence est plus délicat, on parle plus de complémentarité, de solidarité. C’est une généralité, mais je dirais que se mettre en avant n’est pas quelque chose qui va de soi dans le basket féminin.

Dans mon discours, je dis la même chose aux hommes et aux femmes. Mais avec cette idée que je veux que les femmes soient actrices, qu’elles ne se freinent pas. Qu’elles n’aient pas peur de prendre leurs responsabilités. Je souhaite qu’elles se libèrent sur le terrain. J’essaie de valoriser leurs prises de responsabilités.

J’ai souvent entendu dire que le basket féminin était un sport de coach. Je m’en suis toujours défendu. Le basket-ball appartient également aux joueuses, ce sont elles qui font le jeu. »

De la nécessité d’avoir une femme dans le staff technique

« Je pense qu’il est indispensable qu’il y ait une femme dans le staff technique. Car il y a des discussions plus compliquées à aborder. Pour la joueuse, ça peut être difficile de se livrer à un homme, car il y a certains sujets qui sont du domaine de l’intimité.

Mais à chaque fois que des joueuses ont ressenti le besoin de venir se livrer, j’ai tout fait pour me sentir à l’aise. J’essaye de bien être à l’écoute. Il faut également rester à sa place, ne pas s’immiscer. »

Une adaptation au quotidien

« Par exemple, quand j’entraînais le CBC, je n’acceptais pas qu’un garçon manque un entraînement, ou me dise qu’il devait garder son enfant. Avec les émoluments qu’ils avaient, je me disais qu’ils pouvaient prendre une nounou pendant le temps d’entraînement.

« Pour les femmes, je m’adapte. Il y a moins d’argent dans le basket féminin, j’accepte qu’elles manquent un entraînement. Les joueuses font déjà beaucoup d’efforts, à tous les niveaux. »

L’argent, nerf de la guerre

« Ce qu’il peut encore manquer au basket féminin, c’est l’argent. Même si on est aidés, on fait les trajets en bus, des trajets de plusieurs heures. Et souvent, le coach conduit. On n’a absolument pas la prétention de se comparer au Caen BC. Mais même par rapport au sport masculin, c’est compliqué financièrement. En plus, ici, beaucoup de joueuses sont encore étudiantes.

Globalement, je trouve que le sport féminin a pris une place important dans le paysage normand. Ne serait-ce que sur un plan local, quand le lis la presse… Mondeville, Colombelles en hand, Ifs, La Glacerie. C’est bien, les sportives le méritent. Vraiment. »

« Oui, c’est grisant de battre des hommes »

Claire Pruvot vient d'investir dans un Class 40. Son objectif : être au départ de la Route du Rhum.

Claire Pruvot, 39 ans, skipper licenciée à Courseulles

« J’évolue dans un milieu essentiellement masculin. On me demande souvent si c’est compliqué pour une femme de se faire une place, et ça m’embête un peu. Je n’ai pas envie d’être mise en avant parce que je suis une femme, plutôt pour mes qualités sur l’eau.

Dans notre discipline, surtout dans la course au large où l’espace est restreint, c’est l’aspect humain qui est mis en avant. C’est important de se connaître par cœur, de savoir comment les gens réagissent. Une fois que l’on est sur l’eau, la question du sexe ne se pose plus. Certaines personnes peuvent avoir un a priori, mais je les repère vite et je ne me tourne pas vers elles (rires).

Des remarques sur l’aspect physique, il y en a. À l’arrivée d’une course, des garçons me disent qu’ils ne savent pas comment j’ai fait pour tout gérer, pour m’en sortir. Ils le disent parce qu’ils ont emprunté le même parcours que moi et vécu la dureté des éléments. C’est là que l’expression « on est tous dans le même bateau » prend tout son sens. Ces remarques, je les prends avec le sourire. D’autant plus qu’il m’arrive de les battre. C’est grisant de battre des hommes.

« Je suis en recherche de partenaires pour prendre le départ de la Jacques-Vabre en 2017 et de la Route du Rhum 2018. Le fait d’être une femme peut devenir un atout parce que l’on est plus rares sur le marché. Les médias s’intéressent à nous, cela peut-être un vecteur positif. »
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