Loading

WAZE : le GPS trop intelligent qui ennuie les Ligériens Dans la Loire comme partout ailleurs, l’application WAZE, dite « GPS intelligent », donne parfois des sueurs froides aux riverains. En cause : les itinéraires bis qu’elle conseille, et qui déplacent les embouteillages d’une importante voie de circulation à d’autres. Reportage à la Fouillouse.

Un lundi très tôt, aux abords de l’embranchement entre la D1082 en provenance d’Andrézieux-Bouthéon et l’A72 à destination de Saint-Etienne. Le long de l’autoroute, les scintillements des phares rompent la nuit noire de cette matinée d’hiver, à cadence régulière. Ce n’est pas encore l’heure de pointe mais le trafic routier est néanmoins considérable, quoique relativement fluide pour un jour de semaine. « Le lundi, ce n’est pas ce qu’il y a de pire, car un certain nombre de personnes qui viennent du Forez pour travailler à Saint-Etienne sont de repos ce jour-là. Les commerçants, par exemple », souffle Raphaël Bruyas, policier municipal à La Fouillouse.

Cette question du trafic routier, l’homme à l’uniforme la connaît de très près. Car, depuis l’été dernier et les travaux de mise en place du by-pass d’Andrézieux sur l’A72, les automobilistes ont pris la fâcheuse habitude de chercher à contourner les bouchons des heures d’affluence en bifurquant et en traversant La Fouillouse… Grâce, notamment, aux bons conseils de l’application GPS dit « intelligent » WAZE. Problème : la route de cet itinéraire bis, petite, en côte, sinueuse, traversant le hameau perché d’Eculieu, semble aujourd’hui peu adaptée à une telle abondance de véhicules. « Tant qu’il n’y a pas d’embouteillage sur l’A72 ou sur la RD1082, on est à peu près tranquille, poursuit le policier. Par contre, dès que ça bouchonne, on voit effectivement un afflux d’automobilistes emprunter cette route. Et lorsque la voie est libre, c’est les 24 heures du Mans ! Lors des travaux du mois de juin sur l’autoroute, les habitants d’Eculieu ne pouvaient quasiment plus sortir de chez eux ».

Autre souci sur cette petite route de campagne qui traverse les champs et les bois, les routiers qui ne connaissent absolument pas la région et qui, en suivant eux aussi les indications de leurs GPS, se retrouvent parfois bloqués au beau milieu du décor. « Quand on doit venir en aide à un 19 tonnes coincé sur la chaussée, c’est parti pour plusieurs mètres en marche arrière. Heureusement que les mecs sont bons au volant ! commente Raphaël Bruyas. Quelques fois, ce sont même les agriculteurs qui viennent aider des chauffeurs poids lourd avec leurs tracteurs… »

Malgré ces problèmes qui, outre le fait d’embouteiller une petite route et d’agacer les riverains s’avèrent également très dangereux, impossible aujourd’hui d’envisager ici une solution efficace. Seul policier municipal de la ville, Raphaël tente pourtant de venir en aide aux habitants comme il le peut : « Si un carton ou un épisode neigeux encombre les voies principales, c’est pour nous ! Du coup, lorsque je sens que le trafic sur cette petite route va s’intensifier, j’essaie de me poster à un endroit stratégique de manière à ce qu’en apercevant la voiture de police, les automobilistes lèvent un peu le pied. Hormis cela, il n’y a pas grand-chose que je puisse faire », admet le policier.

12 millions C’est le nombre d’utilisateurs de WAZE en France. Ils sont aujourd’hui plus de 100 millions à travers le monde. En se servant de l’application, ces derniers contribuent constamment à la mise à jour de ses cartes. C’est ainsi que cette dernière couvre aujourd’hui la plupart des itinéraires empruntables du pays, y compris ceux se situant dans des zones très reculées.

Waze, c'est quoi ?

WAZE est née en 2006, en Israël. 7 ans plus tard, c’est le géant Google qui rachète l’application pour près d’1,2 milliards de dollars, la rendant encore plus puissante. Elle est, depuis, l’application GPS la plus utilisée par les automobilistes.

Comment ça marche ?

Contrairement à d’autres GPS, WAZE n’utilise pas de cartes toutes faites pour vous guider, mais les reconstitue progressivement grâce à sa communauté d’utilisateurs : connectés à l’application via leur smartphone, les automobilistes lui transmettent en temps réel leur positionnement. Ils peuvent également lui fournir d’autres types d’informations, instantanément, tels que l’état des routes, les éventuels embouteillages, le prix de l’essence dans telle ou telle station… Si bien qu’indirectement, les utilisateurs se renseignent les uns les autres… Sans pour autant avoir tous le même poids. Un système de notation vient en effet constamment évaluer leur crédibilité, de manière à ce que l’application n’utilise sur le long terme que les informations venues d’utilisateurs fiables, et donc, potentiellement vraies.

Ailleurs, plusieurs solutions pour lutter contre la folie WAZE

Avec 100 millions d’utilisateurs dans le monde, il n’y a donc pas que les Ligériens, que l’application WAZE embête.

La petite ville de Leonia, aux Etats-Unis, a ainsi été obligée de fermer une soixantaine de ses rues à la circulation entre 6 heures et 10 heures et entre 16 heures et 21 heures. Avant cette décision, la commune située à proximité d’une autoroute a vécu un véritable envahissement de véhicules, durant de nombreux mois.

Plus proche de nous, à Marseille, de nombreux quartiers résidentiels ont pour leur part été récemment transformées en « zones privées », pour éviter d’être traversés par hordes de véhicules en tout genre. Mais, si la mesure permet à ces quartiers de disparaitre des itinéraires bis proposés par WAZE, cela ne va pas sans poser problème pour autant. En cause : les habitants de ces secteurs qui, eux, perdent désormais un temps précieux pour se déplacer.

Mais c’est peut-être à Lieusaint, en Seine-et-Marne, que l’application WAZE a fait le plus parlé d’elle. Située elle-aussi sur un itinéraire de délestage, la petite commune de 12 000 habitants a vécu plusieurs mois d’enfer, d’embouteillages, d’insécurité routière, de nuisances sonores, de pollution, sans trop savoir comment lutter contre la circulation due à l’application... Jusqu’à ce que le maire, Michel Bisson, ne prenne le taureau par les cornes. Depuis juin 2018, ce dernier a en effet fait installer 6 feux tricolores dans sa ville pour dissuader les wazer de la traverser. Plusieurs rues sont également passées en sens unique, et des dos d’âne ont permis de ralentir les automobilistes, rendant ainsi cet itinéraire plus long.

« Google sait tout de vous »

Bruno Salgues est directeur d’études à l’École des Mines de Saint-Etienne, et auteur de divers ouvrages, dont Société 5.0 paru en 2018 aux éditions ISTE

En circulant avec WAZE qui rappelons-le appartient à Google, les utilisateurs laissent derrière eux des traces de leur passage. Un peu gênant pour le respect de la vie privée non ?

Si l’on prend en considération le fait que de plus en plus de lieux tels que les bars, les restaurants, les hôtels, les stations essence et j’en passe sont référencés par Google, alors on comprend que le géant du net est capable de connaître votre itinéraire exact, de savoir où vous avez mangé, où vous avez fait le plein, où vous avez dormi… Des entreprises, telles que certaines radios, ont également passé des accords avec WAZE. Ce qui fait que Google peut même savoir ce que vous avez écouté durant votre trajet. Peu de gens en ont conscience, mais en faisant un petit tour du côté de son historique d’application, on se rend tout de suite compte que Google sait à peu près tout de vous. Seule solution aujourd’hui pour éviter ce « traçage » : éteindre son téléphone.

Vous parlez d’« accords » ?

Oui. Et cela ne concerne pas seulement les entreprises, mais également les institutions. L’État français s’est par exemple vu proposer un accord avec WAZE qui lui aurait coûté plusieurs millions d’euros, et qu’il a finalement refusé. S’il avait payé, il aurait pu faire en sorte que les autoroutes soient automatiquement mieux référencées que les autres routes par l’application, de manière à ce qu’un maximum d’automobilistes les emprunte et passe ainsi par la case péage. Certaines villes, comme Nice ou Montpellier ont également eu recours à ce type d’accords pour valoriser les lieux qui représentent un intérêt pour eux, comme des parkings par exemple. Ceci étant dit, à la fin, les utilisateurs peuvent néanmoins l’emporter sur l’accord et donc, sur le chèque, pourvu qu’ils soient très nombreux à indiquer des informations à WAZE sur ces lieux référencés…

Selon vous, quel est l’enjeu de tout cela, pour Google ?

Tout au bout de la chaîne, le véritable enjeu pour la firme, c’est la voiture autonome. Plus les utilisateurs donnent d’informations sur les routes à Google, plus l’entreprise sera capable d’améliorer ses prototypes. Pour que l’engin fonctionne, un vrai lien avec l’infrastructure est obligatoire. WAZE est le moyen idéal pour le créer.

Textes : Cerise Rochet / Photos : Cerise Rochet ; Celik Erkul, Yves Salvat, Yves Flammin, Sonia Barcet, Sebastien Calemard, Claude Essertel, Dominique Bertheas et Sonia Barcet / Mise en page : Charles-Edouard Chambon

Report Abuse

If you feel that this video content violates the Adobe Terms of Use, you may report this content by filling out this quick form.

To report a copyright violation, please follow the DMCA section in the Terms of Use.