Textes et photos : Julien DANIEL / Agence MYOP
Tome 1 : Le bois sauvage
Cela commence comme un conte pour enfants. Il était une fois, dans le village agricole de Romainville, en Seine-Saint-Denis, trente hectares de terres et un château, construit au 17e siècle.
Propriété du seigneur Nicolas de Quelen jusqu’au milieu du 18e siècle, le terrain change de mains. La famille Gauvain, nouveau propriétaire, exploite des carrières. La situation géographique et le dénivelé naturel du terrain à cet endroit en font un site idéal pour l’extraction du gypse dans l’industrie du plâtre. Le site est exploité jusqu’en 1965. Depuis la fin des années soixante le périmètre est interdit au public en raison des risques d’effondrement du terrain.
Depuis cinquante ans la nature reprend ses droits sur ces trente hectares. L’ancienne carrière est devenue aujourd’hui un bois sauvage et même, selon certains botanistes, la parcelle de nature la plus sauvage du département de Seine Saint Denis. Plusieurs espèces d’oiseaux y ont trouvé refuge -parmi eux, quelques spécimens d’éperviers- et ce, à 5 minutes de Paris, dans le 93, l’une des zones les plus densément peuplées de la région parisienne…
Je découvre cet endroit extraordinaire à la fin de l'été 2017. Je cours dans les environs et je suis intrigué par les panneaux qui en interdisent l'entrée au public. Un jour de septembre, je me décide à m'y aventurer avec mon appareil photo. Ce sera la première d'une longue série d'expéditions et d'un travail photographique de longue haleine.
En me documentant sur le site je découvre que plusieurs projets d’aménagement ont été conçus pour « domestiquer » cet îlot de nature. Un projet né au début des années 2000, appelé « Île de loisirs de la corniche des forts » a été réactivé (et modifié) en fin d’année 2017 après des années de sommeil. Ce sont 6 à 8 hectares qui devraient être aménagés dans un premier temps : comblement d’une partie des carrières souterraines, défrichage, création de rampes d’accès pour permettre l’ouverture, en 2019, d’une «plaine de loisirs» : mur d’escalade, solarium, prairie... Il est question aussi d’un poney club, d’un parcours d’accrobranche et d’un observatoire de la nature.
Dans le contexte du Grand Paris quel sera l'avenir d'un espace tel que celui-ci ?
Ce site et son histoire nous interrogent sur le rapport que nous entretenons avec la nature, particulièrement lorsque nous habitons en ville. Comment appréhender un lieu sauvage comme celui là ? Faut-il nécessairement domestiquer la nature, la contraindre, ou la laisser s’épanouir sans intervention humaine, sans aménagement ? Comment la ville coexiste avec la nature ?
J’ai souhaité documenter ce lieu tel qu’il était lorsque je l'ai découvert, essayé d’en capturer l’atmosphère et la magie pour en conserver la mémoire, quoi qu’il advienne dans l’avenir.
vol 2 : le temps des hommes
Le temps du bois sauvage est compté. Bien qu'une pétition contre l'aménagement du site ait rassemblé plus de 26 000 signatures, la Région Ile de France et la municipalité de Romainville débutent les travaux. Une superficie d'environ un tiers de la forêt de la Corniche des Forts, soit 8 hectares, va être défrichée pour l'aménagement de la base de loisirs.
A la fin de l'été 2018, une course contre la montre est lancée entre les militants écologistes qui souhaitent préserver le site et les pouvoirs publics qui mettent en place les travaux.
Le début du mois d'octobre marque l'arrivée des bulldozers et l'abattage de plusieurs centaines d'arbres, dont une grande partie ont plus de 50 ans. Côté opposants, la mobilisation s'amplifie et change de visage(s) : de nouveaux militants, souvent plus jeunes, viennent occuper le chantier pour ralentir la progression des engins. Pendant ce temps, d'autres essayent d'obtenir une modification du projet d'aménagement par la voie administrative.
Les médias sont jour après jour de plus en plus nombreux sur place pour parler du bois sauvage...
Fin novembre c'est sous la protection d'une centaine de policiers que des ouvriers viennent installer une "clôture de sécurité" tout autour de la forêt pour permettre la reprise des travaux à l'intérieur. Une opération à 150 000 € d'argent public. Début décembre, les travaux reprennent derrière la clôture et continuent de défricher la forêt malgré l'opposition de quelques militants qui trouvent encore le moyen de venir ralentir les machines.
Alors que la bataille pour la protection des arbres est perdue, les militants cherchent un nouvel angle d'attaque. Un recours est déposé concernant les aménagements de la base de loisirs. D'autres cherchent à insister sur la pollution chimique des sols. Des analyses ont montré qu'on y trouvait de l'arsenic, du strontium ou encore du cyanure. Ces produits sont remontés à la surface à l'occasion des travaux, alors qu'ils avaient été "recouverts" par l'humus et la végétation au fil des années.
À SUIVRE...
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Textes et photos : Julien DANIEL / Agence MYOP
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Photos : Julien DANIEL / MYOP