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Le rugby est-il vraiment dangereux? Deux morts après un match, des commotions cérébrales détectées pratiquement à chaque rencontre de Top 14, le rugby défraie la chronique ces derniers temps et pose clairement la question de sa dangerosité. Enquête: Yves BILLET

Le rugby a tué ! La phrase choque. Et pourtant la réalité est bien là. Cette année, deux jeunes joueurs en pleine force de l’âge sont décédés à l’issue d’un match de rugby au cours duquel ils avaient été victimes d’une commotion cérébrale. « On est obligés de faire une relation directe entre ces chocs sur le terrain et ces décès », assure le professeur Jean Chazal.

Les sorties pour blessure en cours de match sont plus fréquentes et graves que par le passé. /Photo Philippe Juste

Neurochirurgien clermontois réputé, spécialiste des commotions cérébrales, référent auprès de la Ligue nationale de rugby, il tire depuis des années la sonnette d’alarme sur la dangerosité du rugby moderne. « Il y a de plus en plus de commotions cérébrales, parce que le jeu et la morphologie des joueurs ont changé. Le rugby n’est plus un sport d’évitement, mais simplement de combat. Le seul sport de combat, par ailleurs, sans catégorie de poids. Aujourd’hui, le rugby est devenu un sport dangereux », martèle Jean Chazal, qui se considère comme un lanceur d’alerte.

« Faut reconnaître, c’est du brutal ! »

Ces propos alarmistes ont du mal à trouver un écho dans le milieu du rugby français, où Jean Chazal essuie de nombreux raffuts. « Il n’y a pas plus de morts dans le rugby que dans d’autres sports », réfute le président de la Fédération, Bernard Laporte, avant d’ajouter : « Je peux même vous assurer que le rugby est beaucoup moins dangereux qu’il ne l’était au temps où je jouais. »

Les joueurs cherchent à marquer physiquement leurs adversaires. photo Philippe Juste

Force est de reconnaître que l’époque, où les pâquerettes chaussaient du 45 à crampons limés et où les poings tournoyaient dans les airs, est désormais révolue. Cette violence est passée de mode, éradiquée, entre autres, au plus haut niveau, par l’apparition de la vidéo.

Aujourd’hui, c’est dans le jeu, par les charges ballon en mains, les collisions, les plaquages, les déblayages dans les zones de rucks, bref par un rugby de destruction massive, que les joueurs cherchent à marquer physiquement et à faire mal à leurs adversaires. Or, comme ils sont mieux préparés : « Faut reconnaître, c’est du brutal ! », pour reprendre l’expression consacrée de Bernard Blier dans les "Tontons Flingueurs".

Alors, faut-il limiter toutes ces zones de contact afin de protéger les joueurs, au risque de dénaturer la nature même du rugby, sport de combat par excellence?

« Pour limiter les risques, en particulier les commotions, il convient simplement d’appliquer la règle. C’est-à-dire de punir les joueurs qui plaquent haut et ceux qui cherchent à faire mal », commente Bernard Laporte.

Il est rejoint sur ce point par Frédéric Michalak. « Le rugby n’est pas devenu un sport dangereux. Le problème, c’est qu’on vit dans un monde où tout est surmédiatisé, où la moindre image choc fait réagir », souligne le jeune retraité des terrains.

L'ancien ouvreur du LOU milite pour que la technique supplante le physique et que l’évitement reprenne le pas sur l’affrontement : « Dans les écoles de rugby, il faut éviter d’envoyer les petits à l’abattoir et revenir aux bases du jeu, leur apprendre le geste juste, à faire une passe, à plaquer sans se faire mal. Savoir simplement placer la tête du bon côté sur un plaquage pour ne pas se faire assommer diminuera le nombre de commotions. »

Bref, l’avenir passe du rugby passe plus que jamais par la formation…

Frédéric Michalak : "Le rugby n’est pas devenu un sport dangereux".

L’homme qui pratique le rugby est plus lourd

Jean Chazal, neurochirurgien référent auprès de la Ligue nationale de rugby

L'ancien champion de ski français Luc Alphand (2e D), victime d'une grave chute à moto lors d'un rallye tout terrain en Auvergne, pose, le 06 juillet 2009, aux côtés du professeur Jean Chazal (D), qui l'a opéré de la colonne vertébrale. (Photo by COR / AFP)

Le rugby est-il dangereux ?

« Oui clairement ! Il l’a d’ailleurs toujours été historiquement, mais il est devenu de plus en plus dangereux au fil du temps. Il y a des explications. L’homme qui pratique le rugby aujourd’hui est plus lourd, court plus vite.

En conséquence, les chocs sont plus forts. L’indice de masse corporelle est un révélateur. Quand on mesure 1,80 m, on doit peser 75 kilos. Les rugbymen de cette taille pèsent souvent plus de 100 kilos ! C’est un très gros moteur, gonflé, placé sur un châssis qui n’a pas été prévu pour le supporter. Or ces joueurs bien plus musclés ont les mêmes os, les mêmes articulations, les mêmes tendons, les mêmes viscères, la même cage thoracique, le même cerveau, le même cœur.

La préparation physique a pris une intensité maximale depuis une dizaine d'années. photos Pierre Augros

Ils sont plus sensibles à cette énergie qui leur traverse le corps, parce qu’ils reçoivent une masse avec une inertie formidable. C’est ce qui explique les commotions cérébrales, mais aussi au cœur, au foie et aux reins. Il y a quelques mois, j’avais affirmé qu’il y aurait un jour un mort sur un terrain de rugby. Et c’est malheureusement arrivé… J’espère simplement qu’on ne mettra pas la poussière sous le tapis. Cela fait déjà deux morts cette année. Et il y en aura d’autres si rien n’est fait. »

Les différences de poids accentuent-elles cette dangerosité ?

« Le rugby est le seul sport de combat joué sans catégorie de poids. Aujourd’hui, on voit un demi de mêlée ou un ouvreur recevoir de plein fouet un avant lancé à pleine vitesse et qui pèse 40, voire 50 kilos de plus.

On voit aussi des trois-quarts batailler dans les rucks avec des piliers de 130 kilos. Ils sont en danger sur ces phases de jeu. La plupart des joueurs de rugby professionnel sont conscients de tout cela. Mais ils n’osent pas prendre la parole, parce que c’est leur gagne-pain. »

Bernard Laporte : « Réinvestir l’école et le jeu de mouvement »

« N’ayez aucune crainte ! Bien sûr, il peut y avoir des petits bobos. Mais cela arrive aussi au judo ou au football. En tout cas, il n’y a jamais de problèmes chez les jeunes. Et puis, le rugby, c’est l’école de la vie. C’était le slogan quand j’étais jeune, et c’est toujours le même. C’est le partage, le dépassement de soi. On joue avec des plus costauds, des moins costauds, mais on joue en équipe. Voilà ce que j’ai envie de dire à une maman qui hésite à inscrire son petit dans une école de rugby. » Le patron du rugby français et ancien ministre Bernard Laporte veut rassurer les parents, dont les enfants ont tendance à déserter les écoles de rugby. Entre les retombées du titre mondial de la bande à Mbappé, un XV de France qui ne fait plus rêver et n’obtient plus de résultats et, surtout, la contre-publicité des matches de Top 14, marquée par des images chocs et de nombreuses commotions, le rugby n’a plus le vent en poupe chez les jeunes.

«Reconquérir le milieu scolaire»

Le président de la Fédération tient à minimiser cette baisse des effectifs. « Cela fait depuis sept, huit ans que le rugby perd des licenciés, mais je n’ai pas l’impression que notre déperdition soit aussi importante que d’aucuns veulent bien le laisser entendre », souligne Bernard Laporte, qui refuse de mettre ce déclin sur le dos des accidents : « À Saint-Jean-de-Védas, dans le village qui a formé Louis Fajfrowski, joueur d’Aurillac décédé le 10 août après un match, le club a gagné des licenciés. Pourtant, s’il y a bien un endroit où ça pourrait faire peur, c’est là. Mais ils ont bien travaillé dans les écoles. C’est le chemin à suivre. Le rugby doit réinvestir le milieu scolaire qu’il a abandonné. »

La Fédération a lancé tout un train de mesure afin de favoriser le rugby de mouvement

Dans le même temps, la Fédération a lancé tout un train de mesure afin de favoriser le rugby de mouvement, la sécurité et faire revenir le jeu à son esprit originel chez les moins de 14 ans, à l’instar du « toucher + deux secondes », qui remplace le plaquage par un toucher des deux mains, et l’interdiction du passage en force, comme au basket ou au hand.

« On ne veut plus voir un garçon qui, parce qu’il est plus costaud que les autres, prend le ballon sous le bras et va percuter quelqu’un qui est immobile en face au lieu de passer à côté », annonce clairement Bernard Laporte qui va devoir convaincre tous les éducateurs, y compris les plus conservateurs…

Violences dans le rugby: les écoles s'adaptent à l'image du LOU (vidéo)

Created By
Damien Lepetitgaland
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