Réalisée du 30 août au 04 septembre 2021
La goutte froide s'estompe peu à peu sur l'Europe centrale. Même si les nuages et les averses sont nombreux, nous n'allons pas rester indéfiniment dans la petite ville autrichienne de Feldkirch. L'avantage de cette cité est qu'elle se trouve sur le parcours de la Via Alpina rouge. Nous avons donc le choix entre partir vers le Nord-Est et l'Allemagne ou partir vers le Sud-Est et le Canton des Grisons. Comme dit dans le dernier article, bien que continuer avec les prix suisses sur une centaine de kilomètres ne nous enchante guère, partir vers les restes de la goutte froide centrée entre la Pologne et l'Allemagne ne nous enchante encore moins. Adieu l'Allemagne, re-bonjour la Suisse ! C'est un peu le deuxième titre de cette étape.
Cette traversée ne s'effectue cependant pas qu'en territoire helvétique. Nous mettrons les pieds à la fois en Autriche mais aussi au Liechtenstein. Nous avons quitté trop tôt cette principauté pour ne pas y repasser une seconde fois, mais par ses montagnes cette fois-ci. En empruntant la Via Alpina dans ce sens, c'est un peu comme si nous nous dirigions vers notre point de départ, Monaco. En effet, après avoir zigzagué entre le Sud de la Suisse et le Nord de l'Italie, la Via Alpina rouge grimpe vers le Liechtenstein avant de bifurquer vers l'Autriche et l'Allemagne. L'écartement des étapes allemandes tient aussi au fait que ces dernières sont assez courtes et revêtent un caractère plus symbolique qu'esthétique. Je ne suis pas en train de dire que les Alpes bavaroises sont moches mais bien que s'il fallait choisir entre la Via Alpina rouge en Allemagne et la Via Alpina rouge dans les Grisons, le choix serait vite fait.
L'étape commence étonnement sous un ciel nuageux et humide. Le gros des précipitations est passé et nous pouvons reprendre tranquillement notre marche le 30 août aux alentours de 15h. Nous avions tout prévu, ce premier jour sera court et nous permettra uniquement de nous extirper de la vallée pour atteindre un petit alpage autrichien.
Le bivouac est interdit en Autriche et certaines personnes ayant déjà effectué la Via Alpina nous ont bien dit qu'il fallait faire attention parce que les amendes peuvent également pleuvoir. Conscients de cela et voyant des bergers s'occuper de leur troupeau, nous en profitons pour leur demander leur accord et poser notre tente dans un de leurs champs, ce qu'ils acceptent. Nous le faisons parce que nous ne sommes pas bien haut et que c'est une propriété privée. Croyez bien qu'au-delà de 2000m, perdus dans la nature sans habitations à des kilomètres à la ronde, nous n'allons pas nous priver de bivouaquer. Il est d'ailleurs dommage que l'espace alpin ne fasse pas l'objet du même statut juridique qui existe dans les pays scandinaves tels que la Norvège ou la Suède. La mise en place d'un droit d'accès à la nature serait un grand pas en avant de la part des Etats alpins pour permettre à tous de profiter de ce territoire commun et unique. Bien entendu en respectant les potentiels propriétaires mais également la nature. Et c'est peut être ce dernier aspect qui peut, et je le comprends, freiner l'acceptation de ce droit. Est-ce que la densité de population des Alpes peut permettre le fonctionnement d'une législation pareille sans nuire à la nature ? Il y a 13 millions d'habitants dans les Alpes pour une superficie de 190 000km2. Si l'on fusionne la Suède et la Norvège, on arrive à 15 millions d'habitants pour une superficie de 835 000km2. On peut donc facilement comprendre pourquoi ce système fonctionne en Scandinavie. Une étude sur sa mise en place dans les Alpes ne serait pas inintéressante, ou du moins dans les espaces les moins peuplés et les moins urbanisés.
Revenons à notre bivouac autrichien. C'est sur l'alpage d'Amerlugalpe que nous pouvons recommencer nos sessions bivouac. L'ambiance est extrêmement humide mais la visibilité est au rendez-vous.
Feldkirch se situe au Nord du Liechtenstein. En partant vers les Grisons c'est donc une traversée de bout en bout de cette principauté qui nous attend. Tout est prévu pour. Nous emprunterons le Panoramaweg du Liechtenstein. Ce sentier est, contre toute attente, l'un des plus vertigineux que nous aurons emprunté jusque-là. Situé entre 1500m et 2200m, il surplombe la Vallée du Rhin et serpente dans les parois et entre les rochers du Massif du Rätikon, unique massif alpin présent sur le territoire liechtensteinois. Quelques trouées dans les nuages nous laisseront entrevoir la vue sur le pied des sommets.
En une journée nous traversons le Liechtenstein. Nous restons tout de même bivouaquer sur son territoire, les règles du royaume étant moins enquiquinantes que celles imposées par la législation autrichienne.
La journée suivante nous fera zigzaguer entre les frontières, d'abord du Liechtenstein et de l'Autriche puis de la Suisse. Le soleil est de retour sur les Alpes et nous pouvons enfin voir à quoi ressemble les Alpes liechtensteinoises.
C'est une longue traversée en balcons sur la frontière austro-suisse que nous effectuons ce jour-là. Les randonneurs sont de retour et un petit air estival flotte dans ces montagnes. La reprise sous un beau temps nous motive à enchaîner les kilomètres.
Nouvelle journée, nouvelle frontière à traverser. L'Autriche nous attend à nouveau. Un col, une vallée et un autre col nous conduiront à la petite station autrichienne de Gargellen. Le temps est de nouveau au beau fixe, même si les températures matinales sont bien fraiches.
Bien que traversant des zones de montagne, riches qui plus est, le sentier évite les grosses stations touristiques des Grisons que sont Saint-Moritz ou Davos. On se contente des petites cités alpines telles que Gargellen qui permettent tout aussi bien aux randonneurs en itinérance de se poser dans une terrasse ou de se ravitailler. Nous irons par la suite au coeur d'une vallée sauvage pour y dormir.
L'étape suivante prend une dimension plus montagnarde encore avec deux cols à plus de 2500m que nous allons franchir successivement. La neige ne sera d'ailleurs pas bien éloignée de nous. Dans le courant de l'après midi, les nuages se feront plus coriaces que les jours précédents nous déversant une courte averse avant de planter la tente. Mais rien de bien méchant par rapport à ce que nous avons connu en Suisse.
En parallèle de la Via Alpina, nous suivons le Zentralalpenweg autrichien. Cet itinéraire relie de part en part l'Ouest et l'Est de l'Autriche sur plus de 1200km. Un départ (ou une arrivée) depuis Feldkirch et une arrivée (ou un départ) au Sud de Vienne, la capitale du pays.
Face à l'attraction que génère la randonnée ces dernières années, de nombreux pays, qu'ils soient alpins ou non, se sont dotés de grands itinéraires traversant tout ou partie de leur territoire en passant par les lieux les plus emblématiques. Le Zentralalpenweg en est un exemple pour l'Autriche. On a bien entendu en tête le Pacific Crest Trail sur la façade Ouest des Etats-Unis long de 4200km. Mais plusieurs pays européens ne sont pas en reste de ce côté là. On peut parler par exemple du Sentiero Italia mesurant près de 7000km, ce qui en fait le trek de montagne le plus long au monde. Ou encore le Slovenian Mountain Trail qui, sur ces 650km, vous fait découvrir les merveilles de ce petit pays ex-yougoslave. En 2021, a d'ailleurs été créé l'HexaTrek qui, comme son nom l'indique, parcourt sur 3000km nombre de parcs naturels et nationaux du territoire français. Sa première édition aura lieu en 2022 entre le Nord de l'Alsace et la Côte Basque en passant par les Vosges, le Jura, les Alpes du Nord, le Massif Central et les Pyrénées.
De notre côté, on restera sur la Via Alpina. Après un chocolat chaud à la Tübingerhütte, nous nous attaquons au second col : le Hochmadererjoch 2505m. De là-haut, nous apercevrons le Barrage de Silvretta, l'un des plus gros barrages d'Autriche.
Face à l'instabilité de la météo, nous ne franchirons pas de troisième col aujourd'hui, d'autant plus que ce dernier se trouve être bien enneigé. On le tentera après une bonne nuit de repos dans les montagnes autrichiennes.
Après cet énième col, nous étions censés rester en Autriche et nous diriger vers la ville de Pfunds, terminaison de cette sixième étape de notre Via Alpina. Or, nous nous sommes rendus compte que nous n'aurions jamais assez de nourriture pour tenir jusqu'à cette ville d'autant plus que nous ne croiserions aucun village ni station sur notre chemin. Il faut donc que nous nous rendions vers la ville la plus proche pour se ravitailler et ce sera bien évidemment une ville suisse : Scuol. Nous continuerons la Via Alpina rouge sur encore quelques kilomètres supplémentaires.
L'ascension du dernier col avant notre retour en Suisse se fera sous un temps instable. Instable parce qu'on ne sait pas s'il va pleuvoir ou si c'est le soleil qui va l'emporter. Même si les nuages resteront quoiqu'il arrive nombreux, nous échapperons à la pluie.
Croyez-le ou non mais après la goutte froide d'Europe centrale, c'est au tour des dépressions méditerranéennes de nous envoyer quelques turbulences météorologiques alors même que nous avions fait exprès de partir plus au Sud pour le soleil. Évidemment, en regardant la météo au Nord, on se rend compte qu'il fait beau... Heureusement pour nous, ce temps n'est que passager et le soleil reviendra le soir même.
Le caractère paisible de Ftan est cependant à relativiser, de même que celui de tous les autres villages suisses. En vous rendant dans les Alpes suisses vous vous rendrez vite compte que les hélicoptères ou les bus postaux ne sont pas les seuls à briser le silence de la montagne. Il y a aussi les églises. Alors que les églises françaises et italiennes sonnent une fois par heure, parfois les demi-heures et s'arrêtent la nuit, en Suisse c'est très différent. Les églises sonnent tous les quarts d'heure en plus des heures et des demi-heures. Et ce, même la nuit ! À certaines heures, il n'est pas rare d'entendre les cloches de l'église retentir 10 à 15min et nous n'avons jamais vraiment compris pourquoi autant. En nous renseignant, nous nous sommes aperçus que ce sujet créait un réel débat dans la Confédération Helvétique. Le pays est divisé entre les fervents défenseurs de la tradition et ceux qui appellent à réduire le bruit notamment pour des raisons de santé mentale et de sommeil. Il y a même eu de nombreuses affaires judiciaires, certains citoyens cherchant à faire en sorte que les églises ne sonnent que toutes les heures et s'arrêtent la nuit par exemple. Mais pour l'instant, le Tribunal fédéral suisse (l'équivalent de notre Conseil constitutionnel pour nous Français) a toujours fait primer la tradition sur le calme et la santé. Un conseil donc si vous bivouaquer en Suisse : Eloignez-vous des églises !
Nous terminons cette sixième étape de la Via Alpina dans ce petit village de Ftan. Il se situe juste en amont de la ville de Scuol, réel point de terminaison de l'étape et ville la plus orientale de Suisse. Mais pour des raisons pratiques et notamment le bivouac, nous ne rejoindrons cette ville que le lendemain matin.
Scuol ne fait pas très suisse comme nom. On voit davantage les racines italiennes qu'allemandes. Le Canton des Grisons est en effet le seul canton suisse a être trilingue : allemand, italien et romanche. C'est d'ailleurs le seul canton où le Romanche est parlé. Cette langue ressemble bizarrement à un mélange d'italien, d'espagnol et de français. Elle est cependant la deuxième langue la plus parlée du canton puisque 14% de la population la parle alors que l'italien totalise seulement 12% de locuteurs. Le Romanche a néanmoins un désavantage par rapport à l'italien, son avenir reste incertain.
Le lendemain, nous en aurons définitivement fini avec la Suisse. Pays qui nous aura tant donné et tant pris. Mais ce pays est un peu le passage obligé lorsque l'on effectue la traversée des Alpes. Tant par sa position géographique centrale dans l'arc alpin mais également avec des paysages à couper le souffle et uniques. Bien que le temps n'ait pas été au top pendant cette traversée de la Suisse, ceci constituera un argument de poids pour de futures conquêtes alpines dans ce magnifique pays.
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