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Dans les coulisses de la brigade des stups de Lens

Entre eux, ils s’appellent « Mignon », « Shag », « Gitan »... Sept policiers composent le groupe stupéfiants du commissariat de Lens. À coup de surveillances physiques, poses de caméras et tuyaux d’informateurs, la bande s’attelle à démanteler les trafics de drogue du secteur.

Présentations

Une médaille en forme de feuille de cannabis sur l’ordinateur de l’un. Les pochons* (voir lexique ci-dessous) colorés punaisés sur le mur d’un autre. Et cette ambiance particulière, décontractée – au premier abord – du verbe à la tenue. Pas de doute, on est bien chez les stups. Trois bureaux au fond d’un couloir, au premier étage du commissariat central de Lens, occupés par sept bonhommes qui traquent, tapent*, démantèlent les petits et gros trafics de drogues.

Ce matin d’avril, voilà « Mignon », « Shag », Greg, et le capitaine. Il y a aussi un cinquième – certains l’appellent « Gitan » pour les cheveux longs – mais il est occupé avec un gardé à vue. Tous sont des anciens de la BAC, du genre baraqués, formés à la dure. « Shag » est passé par le 93, puis la crim’ de Roubaix. Greg, dernier arrivé, a vécu les émeutes de 2005. De Carvin à Avion, les sept « stupards » couvrent un secteur de 38 communes, pour 370 000 habitants.

La collection de pochons, servant à détenir les stupéfiants, saisis par les policiers lensois lors d’opérations diverses.

Enquêtes et filoches

Les stups se distinguent sur un point : ici, il n’y a jamais de plainte, ou très peu, et donc jamais de victime. Le capitaine précise : « Ce sont des enquêtes d’initiative » que lancent les policiers quand ils estiment qu’il y a matière à creuser : signalement d’un voisin, mouvements suspects... Chacun mène ensuite ses dossiers de A à Z, jusqu’à l’audition du « mis en cause ». Ainsi, lorsqu’il est entendu, les agents ont déjà tous les éléments contre lui, « qu’il avoue ou pas », appuie Greg.

Le terrain, ils l’occupent « une bonne partie du temps ». Le groupe est rodé aux « filoches »*, pose de caméras, surveillance à des heures improbables, de jour comme de nuit. Ça leur plaît. « La famille, un peu moins », se marre « Shag ». Surtout quand l’odeur tenace du cannabis embaume les vêtements... On sent le besoin de s’accrocher aux sensations du début de carrière, à la BAC. « La recherche d’adrénaline », résume Greg. Quant à la saisie de produits, elle est décrite comme « la cerise », la conclusion en beauté d’un dossier.

La relation avec les gaziers

« Ils bluffent, on bluffe. On avance comme ça », amorce le capitaine. Lors des auditions, un jeu se met en place avec les « gaziers »*, les « mis en cause », comprendre ceux interpellés en train de vendre ou d’acheter du stups. Certains se ferment, d’autres finissent par se « mettre à table », balancent camarades, chefs de réseau. « Ils ne se font aucun cadeau entre eux », prévient un policier. Chaque renseignement peut s’avérer précieux : le combo café-clope aide à détendre l’atmosphère. « Et on dédramatise ! », lance « Shag » à travers la pièce.

Malgré tout, les stups gardent une certaine image au sein du commissariat lensois. « On n’a pas ce côté empathique des autres, comme à la brigade des mineurs à côté. On est un peu les bourrins », sourit le capitaine. « Mignon », quinze ans de stups lensois, n’a aucun doute : « C’est un monde à part, t’es fait pour ça ou tu l’es pas. » D’où la « solidarité » à toute épreuve dans ce groupe « très soudé ».

Indispensables « tontons »

Le « tonton », c’est celui par qui le tuyau arrive. L’informateur qui aiguille les policiers dans leurs investigations. Chaque officier gère son réseau d’indics, enregistrés dans le Bureau central des sources – sous un faux nom, forcément. Une affaire résolue grâce à une source, et c’est « 500, 1 000, 2 000 € en récompense, selon l’importance du dossier ». Des sommes sollicitées par les policiers, validées par la hiérarchie parisienne. Qui sont ces « tontons » ? Beaucoup d’anciens toxicomanes ou vendeurs attrapés par l’équipe, reconvertis dans le renseignement car « le feeling était passé » en audition.

Chaque somme d’argent est mise sous scellée. Après le prélèvement de deux échantillons, les policiers envoient le cannabis à la déchetterie pour destruction.

L’océan et la cuillère

Chez les policiers demeure cette « impression de vider l’océan à la petite cuillère », selon les mots du capitaine de groupe. Un réseau démantelé, c’est (souvent) un problème reporté dans la rue d’à-côté, ou à la semaine suivante. Dur, parfois, de ne pas être découragé. Tous pointent le manque de moyens : sept agents pour 38 communes, toutes concernées par les trafics, « c’est très insuffisant ». Le groupe n’a qu’une voiture de service, banalisée mais connue de tous les « choufs »* du coin. Chacun mène « entre 5 et 10 dossiers » de front. « Avec le rythme, les horaires, on est crevés », poursuit « Shag ». Pourtant, il faut « taper vite et fort », c’est ce que veulent les patrons. On les sent peu en phase avec les volontés du gouvernement, et de leur ministre Gérald Darmanin, en visite à Lens, la veille de notre reportage, adepte de la politique de chiffre. Démanteler, interpeller, puis enquêter ? « Pas logique, selon le capitaine. L’inverse est toujours plus efficace : arrêter des gars en ayant toutes les infos contre eux. »

Snapchat : dans le Lensois aussi, l’application chouchou des revendeurs de drogue

L’arrivée des réseaux sociaux a bouleversé le marché de la drogue... et la manière d’en vendre. Les policiers de la brigade des stups de Lens en font l’expérience ces dernières années. Pour les fonctionnaires, c’est un « vrai cauchemar ».

Petit dico du parfait « stupard »

  • Pochon : le sachet en plastique servant à détenir le produit.
  • Taper : interpeller des individus, à leur domicile ou dans la rue.
  • Filoche : la filature, action de suivre discrètement les déplacements d’un individu.
  • Tonton : l’informateur qui livre des renseignements aux policiers, contre rémunération.
  • Chouf : le guetteur qui prévient de l’arrivée de la police sur un point de deal.
  • Gazier : le mis en cause.

Saint-Léonard à Lens, une place forte du trafic de drogue démantelée... puis réinvestie

Ils sont cinq. L’un assis dans une 306 grise portières grandes ouvertes. Deux encapuchés se tiennent debout près du véhicule. Un autre à dix mètres de là, seul. Et un dernier encore plus loin, accoudé à une barrière. Les trois premiers rigolent entre eux. Les deux autres ne bronchent pas, trop occupés à braquer le regard vers la route d’Arras, qui permet de sortir de Lens par le sud.

Quelques minutes plus tôt, quand on demandait à un riverain si la vente de stupéfiants avait cessé sur la place Saint-Léonard, l’homme avait réprimé un rictus : « Vous marchez vingt mètres et vous verrez si ça s’est arrêté... »

C’était pourtant l’objectif des autorités quand, en ce jour de juillet 2020, les policiers avaient investi cette large place lensoise au cœur de la cité 4, bordée d’arbres, de corons et de caméras, à quelques rues du stade Bollaert-Delelis. Un point de deal avait été identifié, et avec lui son lot de désagréments, plus ou moins tolérés par les locaux. Une descente de police et trois interpellations plus tard, il n’en restait rien. Du moins c’est ce qu’on imaginait au quartier.

Depuis février, « retour à la case départ », se lamente un voisin. Le trafic de drogues a bien repris place Saint-Léonard. Il a juste changé d’endroit : auparavant situés près de l’école Voltaire, les vendeurs se sont déplacés de l’autre côté, à une petite centaine de mètres.

L’homme au rictus dit observer du deal « depuis quelques années ». Il se souvient des « bagarres de bandes », des innombrables propositions qu’il a reçues « Shit, beuh ? » (le « shit » est la résine de cannabis, le mot « beuh » renvoie à l’herbe de ce même produit, NDLR) et du « Ara ! » de ce jeune guetteur sous sa fenêtre, le cri de ralliement pour prévenir de l’arrivée de la police. Une fois, il est tombé sur un bout de résine de cannabis par terre, en rentrant chez lui.

Installés rue de l’Église, les locaux de l’APSA (Association pour la solidarité active) avaient une vue imprenable sur le précédent point de deal. Mais, assure une employée de longue date, « il n’y a jamais eu de problème. On les voyait faire, ça s’arrêtait là ».

LES TRAFICS ? ON A TOUJOURS CONNU ÇA, ADMET UN MEMBRE DE L’ÉQUIPE ÉDUCATIVE DE L'ÉCOLE VOLTAIRE. ÇA FAIT PRESQUE PARTIE DU DÉCOR. CERTAINS PARENTS ONT DÉJÀ RÂLÉ. MAIS C’ÉTAIT FINI DEPUIS L’AN DERNIER, NON ?

Texte et vidéo : Thomas Diquattro

Photos : Matthieu Botte et Séverine Courbe

Infographie et mise en forme : Morgane Carlier

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Pôle Artois
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