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La Divette Une enclave verte à Paris

Au mois de mai, il fêtera son 33e anniversaire derrière le comptoir de la Divette Montmartre. Il en a vu défiler, Serge, des générations de footeux, prêts à se masser dans son bar-tabac tout en longueur. Pour tout type de rencontres sportives. La coupe du monde l’année dernière ? ”Oh j’en avais ras le bol. En finale, 95% se foutaient du foot, ils étaient là pour faire la fête. Ils prenaient des pintes de bière, juste pour les lancer lors des buts. J'en avais de partout.” Il est comme ça le patron du rade. Un peu ours. Derrière cette grande carcasse pourtant, l’homme ne peut dissimuler son âme de fervent supporter. Des verts évidemment. Cette même passion qu’il avait déjà lorsqu’il était en internat à l'âge de 7 ans à Usson-en-Forez. “Mon père, Marcel Vial, était joueur de l’ASSE. Quand j'étais môme, les vacances j'allais au stade, à ce qu’ils appellent maintenant le kop sud. Pourquoi kop d’ailleurs ?” raille-t-il. Le patron ne mâche pas ses mots quitte à surprendre ceux qui n'ont pas encore saisi l'esprit des lieux. "Nous ne servons plus les clients qui sont au téléphone. Nous ne voulons pas les déranger" peut-on lire à l'entrée. Le ton est donné.

"Les Parisiens, on les appelle les abribus. Ils s'arrêtent qu'aux quarts." (Serge)

C'est à 20 ans que Serge quitte le Forez pour Paris. “Mon rêve c’était d’être mécanicien aéronautique”. Embauché par UTA, ancienne compagnie aérienne française, il est témoin de l’ouverture de l'aéroport de Roissy en 1974. Peu passionné par le travail dans une grosse entreprise, il décide un an après de tout plaquer pour se diriger dans la restauration. “J'ai connu ma femme au Bourget, ses parents tenaient un restaurant en face. J'ai appris le métier.” Puis les expériences défilent. À Paris Nord. “Un bar qui faisait 25 mètres de long, tu voyais même pas la tête de gens. Que des routiers. Tu passais des cafés. Là tu apprends à aller vite.” Puis “une affaire” reprise avec sa femme rue Montorgueil. Avant de s’installer en 1986 à la Divette. Le véritable début de sa grande aventure. Alors que la retransmission des matchs de football n’est qu’à ses balbutiements, Serge rencontre rapidement son public. “Et c’est quoi alors une divette ?” teste-t-il. Magnanime, la patron souffle la réponse : “la divette est à l'opérette ce que la diva est à l'opéra.”

"Ils deviennent fous, ils ne t'entendent pas. L’autre jour, il y en a un qui m'a pété une vitrine parce que l'arbitre avait refusé un but."

Deux grandes télés de part et d’autre des lieux. Deux babyfoot, deux flippers. Quelques tables, des chaises hautes. Pour la décoration : des maillots, des écharpes de toutes les couleurs, des fanions, des cartes et autres objets qu'on lui envoie en cadeau du bout du monde. Sans parler des picture-disc aux murs et au plafond. L’autre passion de Serge. "Je suis un amateur de collections." À côté du flipper, trônent tous les disques sur le club de son cœur. "Il en manque un. "Supporter" de Balavoine. Il parle des Verts dedans." Et ne parlez surtout pas de capharnaüm. Chaque objet trouve une place bien précise dans l'esprit de Serge.

À la Divette, les places sont chères les jours de match. “Y a que des jeunes. Les vieux, ils viennent que pour le derby. Et ça vient de loin. Ils arrivent deux heures et demi avant” s'étonne encore le patron aujourd'hui. Sur fond de musique à la gloire des Verts, les pintes de bière défilent. Très vite, le troquet verse dans la folie. “Les pires, ce sont ceux qui ne sont pas nés là-bas (de Saint-Etienne). Ils deviennent fous, ils ne t'entendent pas. L’autre jour, il y en a un qui m'a pété une vitrine parce que l'arbitre avait refusé un but.

Parmi ses illustres clients : Rocheteau passe une fois par an. Ćurković aussi est venu dans les années 90. "Il s'était fait voler ses papiers à Montmartre. Les flics m'avaient demandé si je voulais le voir. Bien sûr." Le patron site aussi pêle-mêle Leonard Cohen, Bénabar "en trompettiste trois fois, avant qu'il ne soit connu", les Têtes Raides et bien d'autres. Et pour ultime anecdote : le groupe Madame Monsieur, représentant de la France au dernier Eurovision, s'est rencontré... à la Divette.

pèlerinage vert

"Il fallait le faire au moins une fois"
Jérôme tout droit venu de l'Étrat

Un week-end à Paris ? Il n'est pas rare de voir des supporters traverser la ville pour découvrir le rade. "Il fallait le faire au moins une fois" reconnait Jérôme qui a emmené sa femme et son fils dans l'excursion. Photo devant le comptoir et la vitrine-musée pour immortaliser l'instant. "On connaissait de nom, des amis étaient venus ici. C'est à la hauteur. Le vert est bien présent."

Jordan et Romain

La Divette est un phare dans la nuit pour de nombreux Ligériens, égarés loin de leurs terres d'origine. Jordan a grandi à 500 mètres du "Chaudron". En déplacement professionnel, il a fait le détour par le 18e arrondissement. Romain travaille depuis un an à Paris. "On m'a dit que tous les Stéphanois venaient ici. Je viens souvent voir les matchs, surtout de Saint-Étienne."

Les parisiens adoptés

"C'est le seul café qu'on fréquente depuis longtemps"
Michel (à gauche), supporter du PSG, toléré dans le bar

Lorsqu'on leur fait remarquer qu'il ne sont pas majoritaires dans les lieux, les supporters du PSG ne semblent pas embarrassés. "J'en ai rien à faire. Ça se passe toujours bien ici. Je viens ici voir tous les matchs du Paris, c'est pas parce que c'est Saint-Étienne que je vais pas venir." Fidèle de l'institution depuis 1992, Michel ne se voit pas aller ailleurs. "On est du quartier. C'est le seul café qu'on fréquente depuis longtemps. Et puis on peut aussi parler musique et vinyles avec Serge." S'ils étaient bel et bien minoritaires ce dimanche soir dans le bar, les supporters parisiens n'ont cependant pas voulu se faire petits. Entre soutiens des deux équipes, le ton peut monter, les bons mots pleuvent. Mais toujours dans le respect.

Le match ASSE - PSG vu de La Divette

La mémoire des lieux

"Je ne comprends pas. Ça doit rester un jeu"
Quand Jean est au comptoir...

Jean et sa femme Edith sont des habitués de la Divette. Voilà 52 ans qu'ils traînent dans le 18e arrondissement, trente ans qu'ils ont fait la connaissance de Serge. Originaire de Lorraine, "un pays de mines et d'usines" et fraiseur de métier, Jean est le témoin du temps qui file dans le quartier de Montmartre. Dans les années 70, j’allais en face, chez l’Italien. On venait pour le ping-pong." S'il fréquente la bar de Serge, ce n'est sûrement pas pour les types qui courent après la balle. "Ça prend des dimensions anormales. Moi j'étais un militant, on s'est battu pour que les gens vivent mieux. On peut croire à beaucoup de choses mais pas à une équipe de football. Ça doit rester un jeu. Je comprends pas qu'on puisse déléguer sa personnalité à une équipe." L'homme à la casquette reconnaitra tout de même prendre plaisir quand son équipe, le FC Metz, l'emporte.

Edith taquine le flipper

"Le coq en vert !"

Et parmi les supporters présents ce dimanche soir, un visage bien connu des Ligériens. Natif de Saint-Galmier, Louis Laforge a fait une bonne partie de sa carrière dans la capitale. Celui qui présente aujourd'hui la tranche 18-20h de la chaîne de télévision France Info n'oublie pas ses racines. Et porte haut les couleurs du club de cœur.

Aulas, il aurait eu les supporters stéphanois, il aurait déjà gagné la coupe d’Europe. (serge)

Les supporters lyonnais, eux, peuvent-ils passer le seuil de porte ? "Il y en a. Parfois, ils rentrent, ils ne savent pas. Ça leur fait bizarre." Pas rancunier le patron passe aussi les matchs de Lyon. "Souvent la diffusion s'arrête. Je me demande s'il y en a pas qui viennent pour pirater.” Mardi soir pour le huitième de finale aller de Ligue des Champions qui opposera l’OL au FC Barcelone, Serge a déjà choisi sa tenue : ce sera un tablier aux couleurs des Blaugrana. Une petite photo ? Pas avant mardi. La surprise aux clients fidèles doit être totale.

Dossier réalisé par Jérémy Pain (textes et photos)

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