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Bébés reborn : ces poupons ultra-réalistes qui inquiètent et apaisent

Ils ressemblent à s'y méprendre à de vrais bébés, mais sont en réalité faits à partir de silicone ou de vinyle. Ces bébés reborn -comprenez renaissance en anglais- ont débarqué en France il y a quelques années.

S'ils suscitent chez certains inquiétude et malaise, pour d'autres, c'est une véritable passion. Parfois même, ces reborn sont utilisés dans le cadre d'une thérapie. Ces bébés ultra-réalistes et personnalisables sont confectionnés à la main et revendus des centaines d'euros, principalement en ligne.

Comment expliquer un tel phénomène, voire une telle addiction chez certaines femmes ? Ces poupées possèdent-elles vraiment des vertus thérapeutiques ? Où est la limite ?

L'art du reborning

Apparu d'abord aux Etats-Unis dans les années 90, le phénomène "reborn" s'est étendu en France via notamment la communauté des reborneuses, comme elles s’appellent.

Ces femmes "adoptent" les reborn ou les façonnent de leurs propres mains. "J'en crée depuis un an environ, explique Fanny auprès d'actu.fr, j'aime voir l'évolution de la peinture sur le vinyle jusqu'à ce que ça se rapproche le plus possible d'un vrai bébé. Le fait d'avoir fait les beaux arts à Cambrai m'aide. Le défi est de réussir à ce qu'il soit le plus ressemblant possible. Et la satisfaction de les voir partir dans les bras d'une collectionneuse"

Il faut environ 40 heures pour réaliser un bébé reborn (© Illustration Adobe Stock)

Il faut environ 40 heures pour créer un reborn. Dès la réception du kit de fabrication (la tête, les bras, les jambes et le tronc sont séparés), un véritable travail d'orfèvre commence. Des lignes des doigts aux expressions du visage en passant par les cheveux, chaque détail compte. Tout est pensé, jusqu'au poids du bébé.

Nathalie Baillon, elle, est reborneuse depuis 14 ans à titre professionnel. Elle a ouvert le premier magasin de Reborn en France, dans le Gard.

"On les achète et on les peint de façon ultra-réaliste, comme un tableau qui vous regarde. Ensuite, on ajoute les yeux, faits à partir de cristal de verre soufflé pour plus de réalisme et on peut aussi mettre une tétine. C'est à nous d'ajouter les détails".

Certains sont même équipés d’appareils qui permettent d’imiter les battements du cœur, la respiration ou la succion des bébés.

Sur YouTube, de nombreux tutos (concoctés par des professionnels ou des amateurs) expliquent le procéssus de création.

Vivre avec un reborn

Sur les réseaux sociaux, les groupes Facebook dédiés à cet univers se multiplient. Sur ces pages, des femmes (principalement) postent les photos mises en scène de leurs reborn, en indiquant leur prénom, souvent accompagné d'un mot doux. Dans le bain, sur un transat, ... La ressemblance avec des scènes de vie ordinaire d'un nourrisson est troublante.

"J'ai 12 reborn à la maison" détaille fièrement Katy. Cette habitante du Nord et mère de famille voue une véritable passion à ces poupons.

"Je les adopte déjà assemblés sur internet. Chez moi, la plupart sont dans des berceaux, ou des couffins. Un autre est entouré d'un coussin d'allaitement".

Dans son entourage, personne ne comprend son choix. D'ailleurs, elle a arrêté d'en parler. "Je les change une fois par jour et je prends des photos d'eux. Je vois ça un peu comme un tableau de peinture, c'est très apaisant".

Un sentiment partagé par Fanny : "Les collectionneuses savent bien que ce sont des poupées. Elles les mettent en scène pour faire des photos et pour les mettre sur les groupes, mais juste pour essayer de coller au plus près du réalisme, c'est tout... Pour moi, ça reste une collection et mes créations, un loisir créatif".

Voici quelques-uns des bébés reborn, créés par Fanny (©photos envoyées par la créatrice)

L'illusion du 7ème art

Sur le petit ou grand écran, il n'est pas rare de voir un nourrisson intégré au scénario. Si la loi interdit aux enfants de moins de trois mois d'avoir un rôle, il est possible, dans ce cas de figure, de faire appel aux bébés reborn. Dans le film, Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon dieu ou encore la série Dix pour cent, c'est d'ailleurs eux qui apparaissent à l'écran.

Nathalie Baillon a travaillé dans le milieu du 7ème art, notamment pour un film avec Dany Boon. Elle se souvient : "avec les logiciels et la rapidité de l'image, il est difficile de s'apercevoir que le bébé est faux". A elle aussi de faire en sorte, que le bébé soit le plus réel possible pour faciliter le travail de l'acteur : "il faut vraiment qu'il ait la sensation d'avoir un vrai bébé dans les bras".

Si la production du film souhaite un gros plan montrant un bébé respirer ou bouger, il existe deux solutions : un système de pompe à la main (pour recréer le mouvement respiratoire) ou alors un dispositif animatronique (un squelette télécommandé inséré dans la poupée). Les bruits de succion et les cris sont ensuite ajoutés.

Un bébé pour se remémorer le passé

Dans certaines unités Alzheimer en Ehpad, les reborn sont utilisés. C'est le cas de cet établissement de Potigny (Calvados) qui met à disposition des personnes atteintes de cette pathologie ces "poupées d'empathie" depuis 2015. "Il n'y a pas d'obligation à la prendre dans les bras, détaille Philippe Roux, l'ancien directeur de l'Ehpad de Potigny, Nous laissons chacun faire".

Dès lors qu'un résident tient le bébé dans ses bras "quelque chose se passe". Une certaine émotion jaillit laissant place à des souvenirs oubliés à cause de la maladie. "C'est cela notre objectif. Non pas de les infantiliser, mais bien de leur rappeler une partie de leur passé".

Certains d'entre eux parviennent à se rappeler le nom de leurs enfants et de là, une discussion peut s'amorcer avec le personnel soignant, comme une porte ouverte sur de nombreuses réminiscences.

Valérie Morvan fait partie de l'association Fan2Reborn. Avec sa collègue Delphine, elles font don de bébés reborn dans des Ehpad. Et à chaque fois qu'un bébé arrive au sein de l'établissement, une fête est organisée. "Je me souviens d'une femme qui était un peu éteinte et qui ne parlait pas. Quand elle a tenu le bébé dans ses bras, son regard s'est illuminé".

Et même si ce procédé peut être décrié par certains proches, voire certains professionnels de santé, "je trouve que c'est important de revivre les gestes du passé, de positiver sur les moments de vie. Le but est aussi de les responsabiliser", lâche le directeur. Et d'ajouter : "On ne veut pas aller trop loin. A titre d'exemple, on ne leur dit pas : "comment va le bébé ce matin" mais plutôt "comment il s’appelle ?" afin qu'ils se remémorent les prénoms de leurs propres enfants.

Retrouver des gestes, des sensations , une émotion... Ce système peut être utile aux résidents à condition qu'il ne soit pas généralisé, et qu'un accord soit trouvé avec la famille. "Il faut en parler au préalable avec les proches car ce n'est pas anodin. C'est avant tout un projet thérapeutique", analyse Judith Mollard-Palacios, psychologue au sein de l'association France Alzheimer.

Etre attentif à un autre plus vulnérable que soi-même peut être une bonne chose pour les personnes souffrant d'Alzheimer, car on a besoin de sentir qu'on est utile aux autres. Quand on souffre de cette maladie, on a du mal à communiquer et parfois, on peut être mis en échec par la demande des autres. Alors que là, cette petite poupée est peu exigeante.

Des cas extrêmes

Si ces poupons de vinyle peuvent apporter réconfort et apaisement, la frontière est parfois mince avec les dérives. Certaines poussent même le concept à l'extrême jusqu'à simuler un accouchement par césarienne, comme cette femme aux Etats-Unis.

Ces scénarios peuvent survenir à la suite d'un drame, comme la perte d'un enfant. C'est le cas de cette mère de famille originaire de Suisse, qui a perdu son bébé et qui a voulu recréer un reborn à l'image de son fils de 8 mois décédé d'une maladie grave.

« Je le mets dans la poussette et je vais me promener avec lui. Simi (le nom qu'elle lui a donné, NDLR) est presque toujours avec moi. Quand je suis seule, je lui parle ou je lui explique ce que je suis en train de faire », explique-t-elle dans les colonnes de 20 minutes. Et d'ajouter : « Les gens n'ont pas tous bien réagi, surtout lorsque j'ai posté des photos de Simi sur Facebook. Mais la plupart de mes proches sont contents que cette poupée m'aide à faire mon deuil ».

Depuis 2019, Yolanda a adopté quatre reborns, deux filles et deux garçons. Elle leur donne le bain et sors en poussette avec l'un d'entre eux, nommé Alexis. Cette femme de 54 ans qui réside en Ile-de-France, ne cache pas le motif principal de ces adoptions : "je ne peux pas avoir d'enfants, et ça me fait du bien de les avoir". D'après ses dires, son mari accepte bien ces bébés qu'elles comptent "garder encore longtemps".

Ces femmes "en mal d'enfants" semblent être une minorité. D'ailleurs, à l'évocation de cette problématique, les reborneuses montent au créneau. Sur 500 commandes, Nathalie Baillon a eu trois cas de personnes "un peu dérangées". Même discours chez Fanny : la plupart d'entre nous ont ces bébés reborns comme une collection, pour la beauté de la poupée. Rien de plus."

Du loisir à l'addiction

Mort d'un enfant, impossibilité de concevoir un bébé... Les raisons sont multiples pour certaines femmes endeuillées d'adopter un reborn.

Dans la revue Spirale (spécialisée en recherches et éducation), Sylvain Missonnier, professeur de psychologie à l'université Paris Descartes appelle à la vigilance : "il faut absolument se garder de poser un jugement de valeur négatif et global".

De tout temps, "les adultes ont fabriqué des poupées et les enfants ont mis en scène une relation affective avec elles". Là où l'alerte peut être donnée, c'est lorsque la simulation avec ce "faux" nourrisson devient quotidienne et que l'addiction naît.

"Le reborn est alors de moins en moins une stratégie pour se sentir renaître, une promesse de filiation, une stratégie dynamique permettant de passer de l’humain virtuel à l’humain en chair et en os, mais une fin en soi, un fétiche tout-puissant et, finalement, un appel à l’aide qui mériterait une réponse psychothérapeutique bienveillante".

Même discours pour Judith Mollard-Palacios : attention, pour ces femmes en souffrance, de ne pas vivre en dehors du réel car celui-ci apparaît comme trop angoissant "Il peut y avoir un phénomène de régression (en cas d'"utilisation" excessive de ces bébés, NDLR), et ça ne règle pas le problème".

Objet transitionnel, rappel d'un enfant perdu, oeuvre d'art... Difficile de mettre un mot sur ce phénomène de "bébés éternels", qui reste encore marginal en France. Et qui ne cessera de nous interroger.

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Eloïse Aubé Actu.fr
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