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A Breil, la vie reprend, malgré les incertitudes Un an après la tempête Alex, retour dans la Roya

Texte : Flora Zanichelli. Photos : Cyril Dodergny, Jean-François Ottonello et Flora Zanichelli.

Il a monté les trois étages rapidement, s’arrêtant pour embrasser la pièce du regard, désignant tantôt un meuble, tantôt une fissure dans le mur, stigmate de la tempête Alex. Au troisième étage, il s’est arrêté, a appelé le chat qui est arrivé en miaulant, dérangé par la présence d’inconnus. "Ne vous inquiétez pas, il est comme ça aussi avec mon petit-fils.

Quarante ans que cette maison du centre de Breil, toute en hauteur, appartient à la famille Calabresi. Christian et sa femme l’ont restructurée, la bâtisse est meublée dans un style sobre mais chaleureux. L’été, les enfants viennent avec les petits-enfants et les escaliers résonnent de cris et de cavalcades. Ici, les souvenirs se logent dans chaque recoin.

"Mais on ne sait pas ce qu’elle va devenir", soupire Christian en réajustant d’un doigt une dédicace de Johnny, accrochée parmi les nombreuses autres, qu’il a reçues quand il était responsable de la restauration au Centre de thalasso thérapie de Montecarlo. La maison est désormais coincée entre deux autres, branlantes, qui menacent d’être détruites.

A Breil, certaines portes ne s’ouvriront plus. Barrées d’un arrêté d’interdiction, les maisons auxquelles elles donnent l’accès attendent que les autorités se prononcent sur leur sort. Christian, lui, rêve de savoir ce que va devenir la ruelle étroite où il habite.

Christian Calabresi attend de savoir ce que va devenir sa maison. (Flora Zanichelli)

Traumatisme toujours présent

Presqu’un an après son passage, la tempête hante encore les esprits, parfois comme si c’était hier, avec son torrent de caillasse et de boue. Quand il pleut, elle fait trembler les habitants et ravive les traumatismes. Par temps sec, elle se rappelle à eux le long des berges de la Roya où s’amoncellent les ruines de l’hôtel Castel du Roy et autres habitations éventrées.

"Des questions nous taraudent tous, explique-t-il. Les bâtiments qui ne sont pas en l’état, vont-ils être restaurés? Détruits? Les assureurs semblent toujours trouver une faille pour retarder l’indemnisation."

Le long des berges et de la route, la tempête se rappelle aux habitants. (Flora Zanichelli)

A Breil, les habitants refusent pourtant de baisser les bras, malgré les incertitudes. Ils aiment à dire que les choses progressent, même si les temps de l’administration sont longs. "On voudrait que les choses aillent plus vite, être fixés sur notre sort", soupire Christian Calabresi qui compte les dix mois qui le sépare déjà de la tempête Alex.

Dans certains quartiers, les habitants ont été indemnisés grâce au fonds Barnier [Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM)], créé en 1995 et financé par les cotisations d’assurance habitation. Plus de 100 millions ont été mis sur la table après Alex, aux côtés d’aides européennes.

"Une trentaine de familles ont dû être relogées, explique le maire Sébastien Olharan. Dont à peu près la moitié à l’extérieur de la commune. Deux, trois ne reviendront pas."

Au centre du village, un petit kiosque propose "les meilleurs pan bagnats de la ville". (Flora Zanichelli)

La ville se redessine

"Là, là, vous aviez la maison Sartor, l’âme du village", poursuit Christian. Charles Sartor, ce pépé de 94 ans, figure et mémoire de la ville, est parti vivre à Nice, en maison de retraite, laissant un vide immense pour les habitants de Breil, habitués à le voir surgir au détour d’une place ou d’une rue, toujours prêt à livrer une anecdote, véritable mémoire du lieu.

A quelques pas de la maison Sartor, le petit lac de Breil, symbole de la ville, devra bientôt être remis en eau, comme l’ont promis les officiels en déplacement fin août. Le premier pont qui relie les deux rives a été reconstruit avec des trottoirs plus élargis. Ces travaux signent une nouvelle étape pour la commune.

Le maire de Breil, Sébastien Olharan, se veut confiant malgré les montants des travaux. (Jean-François Ottonello)

A la mairie d’ailleurs, on se projette, malgré les montants des dégâts chiffrés à 25 millions d’euros. Un chiffre qui se répartit entre biens assurés et non assurés. Parmi ces derniers, entre autres, les parcs, les pistes, les jardins pour un montant de 10 millions d’euros. Une somme impossible pour une commune au budget de 5 millions d’euros.

Un peu plus haut, l’hôtel de ville et le commissariat font peau neuve. Le petit Spar, en revanche, étape incontournable et commerce référence du centre-ville, n’a pas rouvert ses portes. Ses propriétaires attendent toujours d’être indemnisés. Même son de cloche pour le l’hôtel Roya aux murs ocres.

Le restaurant Biancheri, en revanche, devrait rouvrir ses portes à la mi-octobre. "La difficulté, c’est également de trouver les professionnels ou les matériaux pour mener à bien les travaux", poursuit Christian Calabresi. La faute à la crise sanitaire? Il faut parfois attendre des mois avant de trouver un électricien ou pour réaliser des fenêtres.

Depuis le passage d’Alex, la géographie de la ville a comme changé. La gare est devenue un point de rencontre. Il y a quelques mois encore, c’est ici que les Breillois venaient échanger les dernières nouvelles, faire leurs courses, acheter leurs médicaments à la pharmacie.

La façade de l'hôtel Le Roya en attente d'indemnisation de la part des assurances. (Flora Zanichelli)

L’odeur du café s’échappait du bar d’où résonnait des discussions animées. Sur le parking face à la gare, des habitants des communes avoisinantes attendaient une bonne âme susceptible de les remonter à Saorge ou à Fontan.

Aujourd’hui, le Carrefour TNL, situé à l’arrière de la gare, fait le plein, malgré les difficultés liées au ravitaillement, ralenti par l’état des routes. "Les choses vont se pérenniser, affirme l’un des employés. Cet été, on a accueilli jusqu’à 800 personnes par jour."

De l’autre côté du parking, attablés à la terrasse du joli “Buffet de la gare”, un groupe d’Italiens discute autour d’un café. Le train des Merveilles, rebaptisé ligne de vie depuis la tempête, passe, rempli à ras bord de touristes. Cet été, la région a rendu le trajet gratuit afin d’encourager le tourisme local. Un succès.

La Roya, qui attire des dizaines de milliers de visiteurs l’été, souffre encore de son enclavement. "Depuis la fermeture du col de Tende après l’effondrement d’une partie de la route, la vallée de la Roya a perdu une bonne partie de ses touristes italiens et allemands", explique Michel Braun, spécialiste et ardent défenseur de la ligne de train.

S’il est désormais possible de regagner le haut de la vallée sans avoir à attendre les deux convois quotidiens, la circulation alternée ralentit les temps de parcours d’un point à l’autre de la Roya. Pour arriver à Breil depuis le littoral, il est désormais possible d’emprunter la route depuis Vintimille. Quelques feux régulent la circulation alternée mais le gain de temps est considérable par rapport au col de Brouis, tout en lacets.

Diego, turinois et habitant de Breil, a ouvert un magasin de vélos et travaille avec des entreprises italiennes. (Flora Zanichelli)

Regain d’activités

Dans le centre de Breil, c’est jour de marché ce jeudi. Les étals regorgent de beaux légumes et des habitants passent remplir leur panier. L’air est doux en ce matin d’août. Des touristes déjeunent, attablés à “La bonne auberge”, un restaurant qui met un point d’honneur à proposer des spécialités locales.

Un petit chalet en bois propose les Pan bagnats. "Les meilleurs de Breil", assurent les habitants. En cette journée d’été, la terrasse est pleine et les petits pains ronds pris d’assaut par les ouvriers des chantiers, les habitants et les visiteurs de passage. La vie reprend, petit à petit.

Diego, Turinois d’origine mais Breillois d’adoption, se veut optimiste. Ce vendeur et réparateur de vélos ne se plaint pas. "De plus en plus de personnes se tournent vers le deux-roues, explique-t-il. J’ai vendu quelques vélos électriques et je travaille actuellement avec un constructeur de vélos italien qui fabrique des remorques permettant de transporter du bois ou d’autres charges encombrantes."

Il désigne à côté de lui un traiteur qui vient d’ouvrir et qui fait le plein. "Le patron est un ancien employé de maison de retraite qui a décidé d’ouvrir le commerce. Ça fait plaisir."

Un projet pour Breil et la Roya

"Les choses bougent, commente Michel Braun. Même si ce n’est pas toujours facile de se mobiliser." A Breil comme ailleurs dans les vallées sinistrées, on aime à souligner la solidarité. Entre habitants mais aussi avec les bénévoles, venus aider les week-ends à déblayer et remettre en état.

"Nous avons par exemple réussi à dégager un canal d’irrigation qui prenait sa source dans la Maglia, poursuit Michel Braun. Les bénévoles sont arrivés avec leurs seaux et leurs pelles, sont descendus au fond du canyon et ont fait un travail formidable."

Grâce au travail des bénévoles, les trekkeurs et les Week-ends solidaires notamment, ces canaux d’irrigation peuvent à nouveau alimenter la vallée en eau, chez les particuliers comme les agriculteurs. Avec la reprise de l'irrigation, c'est aussi un bout d'histoire de Breil qui reprend vie. "Fut un temps, l'eau du canal servait aussi à alimenter les locomotives à vapeur du train qui dessert la vallée", explique Michel Braun.

Les habitants ne sont pas en reste. De nombreuses associations locales se sont montées et se montrent très actives sur le territoire. C’est le cas de l’association Remontons la Roya qui officie du nord au sud de la Vallée. Officiellement en place depuis novembre 2020, elle rassemble différents groupes constitués au lendemain de la tempête autour du thème “Roya d’après”.

"A partir de septembre, on va faire des ateliers pour condenser toutes les opinions et tous les projets de la vallée", explique Charles Claudo qui reconnaît la présence de tensions entre habitants. "Tout le monde n’a pas la même vision."

Michel Braun est à la tête des Editions du Cabri et très engagé dans la vie locale. (Flora Zanichelli)

"Changer la Roya, cela reste très difficile, explique Charles Claudo. Des subventions sont accordées pour de nouveaux projets mais il faut qu’ils aient une composante écologique. Or, dans le haut de la Vallée, certains proposaient des balades en 4x4. C’est difficile pour eux de changer complètement leur manière de faire."

L’association soutient les entrepreneurs de la Vallée, en aidant, notamment, à monter les dossiers de subventions. "Certaines personnes arrivent et lancent des projets, continue Michel Braun, lui aussi membre de l’association. Mais certains manquent de structure et ça ne tient pas la route."

Embarquer les habitants dans l’aménagement de Breil, c’est aussi le projet de Sébastien Olharan, le maire, qui compte mettre à contribution ses concitoyens pour l’aménagement des futures berges. L’édile rêve d’une voie verte piétonne et cyclable qui drainerait dans la région un tourisme averti.

"La vraie difficulté, tempère-t-il, c’est la trésorerie. Nous n’avons pas de dispositif nous aidant directement, nous attendons l’argent des assurances des biens assurés et pour le reste, nous allons avoir des subventions, en participant, par exemple, à des programmes comme "Petite ville de demain"."

Pendant longtemps, la route vers Vintimille a fait l'objet de travaux. Ici, au niveau du pont du Perthus. (Cyril Dodergny)

L’autre problème, souligne le maire, c’est le manque de ressources humaines. Pour réaliser ces travaux, mener ces chantiers, il faut des gens. "J’ai fait un tableau avec les principaux chantiers, ceux qui requièrent de la maîtrise d’ouvrage, par exemple, détaille monsieur Olharan. Pour les trois prochaines années, j’en ai 65."

L’édile veut se donner du temps, pour repenser les infrastructures comme le camping ou la piscine, ravagés par la tempête. "J’aurais aimé un système de prêt d’Etat à taux zéro", poursuit-il.

Le long de la route qui permet de relier la vallée à l’Italie, les ouvriers s’activent. Il y a un mois, il fallait encore descendre au creux du cours d’eau pour passer le Perthus, là où les flots avaient cassé la route en deux, laissant les habitants de la montagne et du bord de route, coupés du monde. L'inauguration du pont est une nouvelle respiration pour Breil et ses habitants.