"La perle de l’Extrême-Orient..." Lettre N°3

Bonjour à tous,

Voilà un petit bout de temps que je n’avais pas pris le temps de vous écrire, c’est maintenant chose faite. Ici tout va très bien, les projets s’intensifient, la communication orale avec les locaux s’améliore, si bien que je commence à me mettre à l’écriture et à la lecture de l’alphabet khmer aux caractères d’une complexité mais aussi d’une beauté incroyables ! Rien de mieux que l’application pour mobile des maternelles, le tout en chanson.

"Sopi" qui appelle son Grand frère François : Photo qui paraît banale ? Plutôt très drôle (la photo) quand on sait que cette dernière est aveugle, sourde, muette et qu'elle n'a jamais appris à parler. Je peux vous dire que ça rigole bien ici.
Quelques jeunes des différents foyers avec qui je vis tous les jours.

J’apprends aussi le langage des signes américains pour pouvoir échanger avec les jeunes de Light of Mercy (centre d’enfants avec handicap physique). Si la compréhension orale reste encore difficile, je commence à nouer de vrais liens avec tous les enfants qui m’entourent ici. Par ailleurs, et ça fera sûrement sourire ma prof d’anglais Mme Resche, je rajoute à ma semaine, 5h comme prof d’anglais auprès des jeunes du Foyer.

Concernant les faits divers, nous n’avons pas échappé à deux belles pluies, pardon deux déluges d’une vingtaine de minutes en pleine saison sèche, ce qui est assez rare me dit-on, mais qui nous prépare bien à la saison des pluies dans un peu moins de trois mois. En revanche le fait que le mois d’avril avoisine les 37-38°C en journée ne me ravit pas franchement, tant parfois j’ai l’impression d’étouffer. Enfin si j’ai goûté à la « Sach Pouh » = viande de serpent, (vraiment pas mauvais au passage), j’ai renoncé catégoriquement à la « Sach Tchkaîe » = viande de chien. Ici c’est un mets rare et très prisé que je laisse du coup sans trop de soucis aux autres.

En début de mois je suis allé visiter sur un gros week-end le littoral Est du Cambodge : Sihanoukville et ses îles paradisiaques. A refaire, seul ou mal accompagné. Cela vaut vraiment le coup, plutôt deux fois qu’une. Eau turquoise, sable fin blanc qui donne l’impression de marcher sur du coton, cocotiers à perte de vue, le tout dans un calme absolu qui fait oublier pendant 48h la fourmilière bruyante qu’est Phnom Penh.

Ile de Kho Rong Samloen

C’est d’ailleurs de Phnom Penh dont j’ai voulu vous parler aujourd’hui, tant il y a de choses à dire et à montrer. Ville pour le moins déconcertante. Dans ma première lettre, je vous avais fait part du choc que j’avais eu en découvrant de nuit la capitale du Cambodge (et son côté obscur). Aujourd’hui encore, les adjectifs pour la qualifier s’entrechoquent avec incohérence : ville charmante, répugnante, décadente, martyre, dynamique, déchue, vibrante, baroque où la ségrégation socio-spatiale croit à hauteur du dynamisme de sa population.

Centre de la Ville

La capitale, cœur politique et économique du royaume n’est pas la représentation du Cambodge très rural. Ici se concentrent tous les pouvoirs, les fortunes, les projets d’investissements ainsi que la résultante de l’exode rural des migrants souvent issus des campagnes très pauvres attirés par l’espérance d’une vie décente.

De gauche à droite et du haut vers le bas : Marché central (intérieur, extérieur); palais impérial; Wat Phnom (la montagne sacrée et historique de la ville).

Si l’histoire du Cambodge depuis le XVème siècle se retrouve dans la grandiloquence des temples d’Angkor, l’histoire plus récente du XXème siècle, fait de chair et de sang, d’argent, d’ambition avortée se retranscrit dans la ville de Phnom Penh, ville qui fut le théâtre d’une blessure narcissique provoquée par le sentiment de sa déchéance. Digne de la démesure d’Angkor, mais dans son versant noir, de celui de la terreur, de la force aveugle, période la plus sombre de son histoire : Les Khmers rouges dès avril 1975. Lorsque la ville tombe aux mains de Pol Pot, ce révolutionnaire veut à tout prix retrouver la pureté perdue des temps angkoriens, et Phnom Penh sera son bouc-émissaire, ville à ses yeux cosmopolite, corrompue, d’une modernité destructrice. Ainsi dès janvier 1979 commencent les purges sanglantes, Phnom Penh est alors mutilé et devra se reconstruire non sans douleur.

Temple Angkorien dans le district de Prey Kabbas (à deux heures en voiture de Phnom Penh).
Vue du temple de Prey Kabbas.
Ancienne prison de Tuol Sleng, aujourd'hui lieu de mémorial du génocide.

Ce n’est qu’à la fin des années 80 qu’auront lieux les premiers accords de paix précaires et que l’espoir alors refera surface. Le chemin long et timide ne s’accélèrera qu’en 2000 avec la fièvre spéculative et l’envie d’imiter Bangkok, Singapour ou Saigon.

Promenez-vous sur les grandes artères de Phnom Penh au milieu du nombre incalculable de 4×4 de luxe, (en moins d’une heure vous avez vu toutes la gamme des Lexus, Range Rover, Jeep, et Porsches) sur Koh Pich (l’élite Town), le Dübaï de Phnom Penh made in China, ou dans les quartiers touristiques, et vous trouverez que cette ville est tout à fait développée et qu’elle n’a rien à envier à ses villes voisines. Pourtant ce n’est bien que la partie immergée de l’iceberg. Sur les un million sept cent mille Phnompenhois répartis sur plus de 300km² les inégalités socio-spatiales s’accroissent, et la situation politique à bras ouverts vers son voisin chinois (pour le dire de façon respectable) va accroître un peu plus la misère sociale déjà très marquée. On compte 20 000 enfants à travailler ou déambuler dans les rues à la recherche du précieux dollar. La misère est criante.

Collection de photos à moto, les prochaines arrivent...

L’exemple le plus frappant de cette ségrégation : Koh Pich (ancienne île de pêcheurs), son nom officiel, mais ici les promoteurs l’appellent l’Elite Town, afin de bien faire comprendre à qui est destinée cette future clientèle. Je l’appelle personnellement le Dubaï de Phnom Penh made in China. Avec ses 80 hectares de terrain aménagés (villas, appartements et hôtels de luxe ; piscine de 200m² ; centre d’affaires ; centre commercial, casinos et en prime la réplique d’un mini-Paris). Projet mené par une compagnie cambodgienne à capitaux majoritairement chinois… L’envers du décor, c’est l’expulsion de 300 familles pour une petite centaine de dollars, l’exploitation de 2OO 000 ouvriers venus pour la plupart des campagnes du Nord qui sont hébergés dans des conditions assez lamentables, sans parler des salaires qu’ils touchent. Nous sommes loin de la moyenne de la ville des $580 par mois.

Ile de Koh Pich, illustration criante de cette ségrégation.

Si je ne suis pas très doué pour faire des plaidoyers à la Zola et heureusement pour moi ce n’est pas le but, ce genre de projet me questionne sur l’avenir de cette ville, et par voie de conséquence, sur le pays tout entier. Y a-t-il un espoir pour ces nouvelles générations, meurtries par la génération victime du génocide, déracinée, en perte de repères et devant faire face à l’appétit dévorant des investisseurs asiatiques occidentaux, ainsi qu’ à un gouvernement autoritaire et corrompu , dont certains membres, à commencer par le premier Ministre Hun Sen ne sont autres que des ex-sympathisants du régime Khmer Rouge. Croire et soutenir cette nouvelle génération, lancée massivement dans un tsunami de scolarisation et qui viendra retrouver sa réputation Angkorienne mais dans son bon versant cette fois.

Ainsi il faut, je crois, prendre le pari de s’intéresser à Phnom Penh (bien que de nombreux touristes sautent l’étape) car elle est la seule capitale dans le monde à incarner de façon poignante la condition humaine.

Etales des marchés de rue (en bas à droite rayon boucherie, faut s'accrocher niveau odeur)

A très vite pour de nouvelles aventures (départ tout à l’heure au Laos pour une semaine de vacances-découvertes avec d’autres volontaires MEP)

Visite de Clarisse (amie du master) et sa famille en passage à Phnom Penh, détour obligé à Light of Mercy.

Avec toute mon amitié,

François

Coucher de soleil à Independance Beach (Sihannoukville)

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