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1999 : la tempête du siècle La Lorraine et la Franche-Comté meurtries

Le 26 décembre 1999, les Lorrains et les Franc-Comtois se réveillent sous les hurlements du vent. Noël s’achève à peine, les cadeaux sont déballés, la bûche avalée. On se préparait au deuxième round des fêtes, le réveillon, le passage à l'an 2000. Mais on ne s'était pas préparés à la force de la tempête qui allait s'abattre sur la France.

Les toitures se soulèvent comme des feuilles. Les tuiles s'envolent, les arbres vacillent, puis cèdent. Les décorations de Noël ne sont déjà plus qu'un lointain souvenir. La Lorraine est touchée de plein fouet par la première tempête, baptisée Lothar, vers 8h00 du matin. Explosive, elle traverse le pays d'ouest en est à une vitesse incroyable. A Nancy, les rafales dépassent vite les 100 km/h. A 10h29, Météo France enregistre une rafale record de 155 km/h.

Le 28 décembre, c'est la tempête Martin qui frappe à nouveau la France. Celle-ci dévaste la moitié sud du pays et notamment la Franche-Comté, puis quitte le pays en passant par l'Alsace. Elle laisse derrière elle une France ravagée.

La tempête Lothar a surtout touché la moitié nord de la France, et la tempête Martin la moitié sud. Infographie ER/Céline ROMAC

La tempête de 1999 fut baptisée "la tempête du siècle". Tous les records de vent, en plaine, sont battus. Et personne ne l'avait vraiment vu venir, pas même Météo France. Les pompiers sont débordés, EDF met du temps à rétablir l'électricité, on installe des cellules de crise à la hâte. Les conséquences sont terribles.

La tempête de 1999 fera 140 victimes en Europe dont 92 en France.

Près de 140 millions de mètres cubes de bois sont abattus. Ce qui représente entre 5 et 10 % de la forêt française...

Le coût global de tous ces dégâts se compte en milliards d’euros.

Vingt ans plus tard. Météorologues, électriciens et forestiers... tous ont tiré des leçons de ce triste événement. La forêt s'est reconstruite petit à petit. Les traces s'effacent. Mais toutes n'ont pas totalement disparues.

Livrés à eux-mêmes

Les foyers lorrains et franc-comtois dans la tourmente

"Bip… Bip… En raison de circonstances exceptionnelles, nous ne pouvons donner suite à votre appel… "

Gravé dans sa mémoire. Son Noël 1999, Pascal Grenon y repense souvent. Le technicien EDF de Pontarlier n'en a pas vraiment profité. Lui qui sort de deux interventions le 24 et le 25 voit réellement l'apocalypse lui tomber dessus le 26 décembre, du côté de Malbuisson. "Il était 8 heures du matin, je terminais une réparation lorsque la tempête est arrivée. Je n’ai rien pu faire si ce n’est me mettre à l’abri des tôles qui volaient et des arbres qui s’écroulaient autour de moi comme un château de cartes".

Il trouve alors refuge entre les murs d’un poste source. Et lorsqu’il en ressort vers 9h30, l’électricien s’apprête à vivre la plus intense expérience professionnelle de sa carrière. "Sur mon secteur autour du lac de Saint-Point, entre Montbenoît, Frasne et la Chapelle-des-Bois, plus personne n’avait de courant !"

Les vents ont mis à terre un quart du réseau de transport d’électricité français. 3,5 millions de foyers sont plongés dans le noir. Les lignes téléphoniques saturent vite. "Bip… Bip… En raison de circonstances exceptionnelles, nous ne pouvons donner suite à votre appel…" Voilà ce que l’on pouvait entendre le 26 décembre au bout du fil, en composant le 12, le numéro des renseignements de France Télécom.

Partout, les fenêtres se brisent, les arbres écrasent les voitures, mais aussi les fils électriques et téléphoniques. Confinés chez eux, les gens sont livrés à eux-mêmes. Annabelle Portzert n'oubliera jamais la sensation de solitude absolue qu'elle a ressentie en cette journée du 26 décembre 1999. Elle vivait alors dans un chalet installé en plein cœur de la forêt de Haye, près de Nancy. Un lieu bucolique, loin de la foule. Un petit paradis qui se transforme en prison. "Nous sommes restés complètement coupés du monde toute une journée", raconte-t-elle. Sans courant, sans chauffage, avec un enfant de 4 ans, "nous étions prisonniers". Personne ne pouvait pénétrer dans la forêt, trop dangereuse, pour les aider. La peur au ventre, ils ne pouvaient que regarder les arbres tomber comme des dominos, en priant pour qu'aucun ne s'écrase sur leur maison.

La forêt de Haye après le passage de la tempête. Photos ER/Alexandre MARCHI, Denis MOUSTY, Patrice SAUCOURT
"Les gens nous ont offert le champagne !"

Finalement, l’ONF parvient à se frayer un chemin au travers de la forêt et vient en aide à la famille meurthe-et-mosellane en milieu d’après-midi. La mobilisation des forestiers, des pompiers, des agents EDF et de bien d'autres encore, est sans pareil. "Ceux qui étaient en congés sont rentrés, des retraités sont venus nous aider, des collègues de la Drôme aussi. Il y a eu une grosse solidarité", raconte Pascal Grenon. "Les agriculteurs et les débardeurs nous aidaient à atteindre nos objectifs en forêt, car entre-temps, il est tombé 40 cm de neige assez lourde. Les restaurateurs nous faisaient à manger à toute heure", poursuit-il. La priorité est de réalimenter les gens et les mettre en sécurité.

A Saint-Dié-des-Vosges, les militaires sont venus en aide aux techniciens d'EDF. Photos EDF-ENEDIS.

Recouvrir les toits des habitations, réapprovisionner les foyers en eau, rétablir l’électricité... Pour les pompiers aussi, ces missions étaient prioritaires. "Au cours des trois premiers jours, on commençait nos missions à 6h pour les finir vers 22h30", explique le colonel Hugues Deregnaucourt, en charge d'un millier de sapeurs-pompiers sur la Plaine des Vosges. Devant l'ampleur de la catastrophe, les soldats du feu ont souvent dû faire appel au système D pour venir en aide aux personnes les plus touchées. "Par exemple, nous avons négocié avec une société ambulancière privée pour procéder à l’évacuation des pensionnaires de la maison de retraite de Darney. L’établissement était privé d’électricité."

Si la tempête a fait des ravages pendant trois jours, il faudra bien plus de temps pour réparer tous les dégâts qu'elle a causés. Le 27 décembre, 180 000 foyers lorrains sont privés d'électricité. Au 31 décembre, 42 000 d'entre eux doivent fêter la nouvelle année dans le noir.

Pascal Grenon, lui, fait sa dernière intervention de l'année le 31 décembre à 20h, dans le secteur des Combes. "Les gens nous ont offert le champagne !" Mais c’est en rentrant chez lui que l’agent EDF éprouve son plus gros choc émotionnel. "On avait vingt personnes à table pour le réveillon. Quand je suis arrivé vers 21h, toute la famille était là debout à m’applaudir !"

Pour de nombreux Lorrains et Franc-Comtois, les événements de 1999 seront difficiles à oublier. Annabelle Portzert en restera marquée à vie. "Cette journée, j’y penserai toute ma vie", confie-t-elle. "Ça me terrorise encore dès que je vois la météo se lever. Mes amis ne comprennent pas forcément, mais il faut avoir vécu cette journée de près pour se faire une idée".

LA FORÊT, CHAMP DE BATAILLE

Les forêts lorraines et franc-comtoises sont les premières victimes de la tempête

"J'ai vu des collègues pleurer, ils étaient effondrés..."

Christian Pocachard, fraîchement retraité de l’ONF, se souvient lui aussi très bien de ce dimanche 26 décembre 1999. Après une matinée tempétueuse, il met le nez hors de sa maison de Vasperviller, en Moselle. Toutes les routes étaient barrées par des arbres tombés çà et là. Responsable de la forêt domaniale de Saint-Quirin et des forêts communales alentours, il convoque dès le lendemain ses six forestiers, agents et bûcherons, pour s’organiser.

Vingt ans plus tard, les souvenirs restent douloureux. "Les gens qui étaient en poste depuis de longues années ont vu le fruit de leur travail à terre", se rappelle-t-il. "C'était un choc émotionnel très intense. J'ai vu des collègues pleurer, ils étaient effondrés".

"Les gens qui étaient en poste depuis de longues années ont vu le fruit de leur travail à terre"

Mais les forestiers n'ont ni le choix, ni le temps de faire le deuil de leur précieuse forêt. "On a été obligés de redresser les manches et de se mettre au travail le plus vite possible". Les milliers d’arbres cassés ou déracinés rendent les routes impraticables, interrompent le trafic ferroviaire, provoquent des coupures de courant, écrasent des habitations, des véhicules… Il faut dégager toutes les voies routières du massif forestier.

Et avec près de 100 millions de mètres cubes de bois abattus par la tempête, les forestiers ont du pain sur la planche. Les dégâts faits à la forêt française sont inimaginables. Celle de Saint-Quirin est amputée de 700 hectares par Lothar.

En haut, la forêt de Saint-Quirin juste après la tempête de 1999. En bas, la forêt de Saint-Quirin de nos jours. Photos RL/Laurent MAMI, Bruno ESTRADE, Michel PIRA

Une catastrophe économique

Les grandes victimes de cette tempête, ce sont bien les forêts de la moitié nord du pays, et notamment celles de Lorraine. En quelques heures, la tempête a abattu ou endommagé 30 millions de mètres cubes de bois de la forêt lorraine. Les Vosgiens sont catastrophés. Leur si belle nature a été soufflée, leurs paysages si paisibles sont méconnaissables. A Gerbéviller, en Meurthe-et-Moselle le parc privé le plus visité de France est dévasté. À Nancy, des monuments vieux de centaines d'années sont en partie détruits.

En Franche-Comté, la tempête de 1999 a essentiellement concerné la partie nord de la région, soit le Pays de Montbéliard et la Haute-Saône.

En Meurthe-et-Moselle, 28,4% de la forêt a été détruite par la tempête, contre 0,7% de la forêt dans le Jura. Infographie ER/Céline ROMAC
"10 ou 15 euros le mètre cube"

"Lothar a été une catastrophe économique" pour la filière du bois, se désole Vincent Lis, technicien forestier à l’ONF au Haut-du-Them (70). Le bois se fait tellement abondant que les marchés saturent, et les cours chutent. Le rondin ne vaut plus rien. Et une grande partie de ce bois abattu par la tempête est abîmée.

Face à la profusion, "les acheteurs voulaient acheter sur pied au meilleur prix", explique le forestier. "À 10 ou 15 € le m3 au lieu de 80 € environ avant la tempête. Les cours ne sont jamais remontés à ce niveau".

Les mirabelliers, trésors de la Lorraine, ne sont pas épargnés par la tempête. 10 % des arbres ont été déracinés sur les parcelles des Côtes-de-Meuse. Les producteurs sont désespérés. Certains abandonnent même le métier, comme la famille Burté du Toulois. Après le passage de Lothar, 1 000 de leurs 1 800 mirabelliers sont au tapis. Entre ce coup dur et la canicule de 2002, Jean-Christophe Burté préfère changer de vie et reprend les études.

Jean-Christophe Burté nous montre les dégâts causés à ses mirabelliers en 1999. Photo ER/Valérie RICHARD.

Une catastrophe écologique ?

Toutes les espèces sont touchées par la tempête : l’épicéa, comme le hêtre, ou le chêne. Certaines communes ont perdu 80 % de leur patrimoine forestier. Un coup porté à la biodiversité.

Cependant, pour les autres habitants de la forêt, la tempête a été vue plutôt d'un bon œil. "Pour la faune, cela a été une bénédiction", lâche Vincent Lis. "Cela lui a déjà assuré plusieurs années de tranquillité totale". Interdite d’accès aux hommes, la forêt est redevenue le seul terrain de jeu de ses véritables habitants.

"Pour la faune, la tempête a été une bénédiction"

Les ronces colonisent tous les débris laissés en plan dans l’urgence. "Même les chiens n’y pénétraient pas et ces secteurs ont constitué des remises inexpugnables pour sangliers et chevreuils mais aussi de la nourriture en abondance. Aujourd’hui, on a des chevrettes de 28 kg et des mâles dépassant les 30 kg, contre une quinzaine en plaine", poursuit le forestier. Oiseaux et chauves-souris ont également profité des arbres cassés, dont les fractures du tronc ont constitué des abris pratiques.

Mais cette aubaine pour le gibier ne l'est pas forcément pour la forêt. "C’est un handicap majeur au renouvellement forestier et à la résilience des écosystèmes forestiers", relève Jonathan Pitaud, ingénieur et chercheur dans un laboratoire mixte INRA-ONF (Institut national de la recherche agronomique, Office national des forêts). Les constats sur le terrain parlent d’eux-mêmes : quand cerfs, sangliers et chevreuils passent, les jeunes pousses n’y résistent pas. Heureusement, grâce au travail des forestiers, la forêt est maintenant presque entièrement guérie.

L'Est panse ses plaies

Après la désolation vient la reconstruction, puis les leçons

"réfléchir à la gestion de notre patrimoine"

Alors qu'il a vingt-deux ans et qu'il est apprenti en gestion de l’arbre à Nancy, Yannick Andres constate lui aussi les dégâts faits aux parcs et aux forêts de la ville. Aujourd’hui, il occupe les fonctions de chef du service patrimoine arboré. "Nancy et l’arbre ont toujours entretenu des liens étroits", explique-t-il. En 1999, la ville est engagée dans un programme avancé de gestion de ses espaces arborés. Ce travail au long cours sera pulvérisé en quelques heures. D’un souffle. "8 à 9 % du patrimoine a été dévasté", chiffre Yannick Andres. "On a perdu dix ans de gestion d’un coup".

L'Est Républicain du 27 décembre 1999. La basilique Saint-Epvre, le collège de la Craffe, mais aussi la forêt du Haut-du-Lièvre ou celle du plateau de Malzéville : les dégâts touchent autant les bâtiments que la nature. Photos ER/Archives

Mais tout le monde se mobilise, et la ville est transformée en un immense chantier forestier. Vite, la collectivité constitue un comité chargé d’élaborer un plan de repeuplement. "D’emblée, on s’est dit qu’on allait en profiter pour remanier certains espaces et réorganiser les parcs. On s’est donné une saison pour tout repenser", rapporte Yannick Andres.

Avec le recul, le Nancéien relativise : "Ces moments difficiles nous ont permis de réfléchir à la gestion pérenne de notre patrimoine". Sur les zones complètement dévastées, les forestiers ont le choix de laisser la nature se débrouiller ou de replanter. Ils font les deux. Des plantations de chênes, sapins, douglas, mélèzes s’organisent dans les années 2000, en fonction du sol. Avec ses équipes, Yannick Andres cherche la façon la plus intelligente de planter des essences, pour assurer le futur de ses arbres et faire face à des événements climatiques ou parasitaires. Tous les forestiers sont d'accord : la clé, c'est la diversité.

"Accompagner la nature"

Mais la plupart du temps, les forestiers décident de laisser la forêt se régénérer par elle-même. Comme Jean-Charles Fillion, technicien ONF de la forêt domaniale de Commercy, dont trois quarts des peuplements adultes ont été détruits. Aujourd’hui, quand il traverse la forêt, il est optimiste. Non pas parce que l’ONF a entrepris une vaste campagne de plantation, mais parce qu’elle a laissé la nature faire. "On a juste accompagné cette nature en laissant les essences qu’on voulait, les forestiers ont fait leur boulot", se félicite Jean-Charles Fillion.

"Le pari est gagné. La forêt s'est refaite"

"Je n’ai pas eu à replanter un seul arbre. La régénération s’est faite naturellement car le potentiel était là, dans les semis naturels" se réjouit également Vincent Lis. Pour lui, le pari est gagné. La forêt s'est refaite. "Pas comme avant, c'est sûr. Il y aura plus de mélange d'essences, plus de diversité. Mais c'est gagné !"

Météo révisée

Mais pourquoi la tempête a-t-elle tellement pris de court les Français ? Certes, des bulletins météo avaient été communiqués, et de nombreuses villes avaient eu leur lot de pluie et de vent dans la nuit du 25 au 26. Mais le matin, quand le ciel commence à s'assombrir d'une manière presque effrayante, puis à gronder, il ne s’agit plus de simples pluies mais d’un phénomène quasi-apocalyptique auquel on ne s'attendait pas. S'agit-il d'un manque d'impact des alertes de Météo France, ou juste de la croyance que la tempête touchera plutôt les voisins ?

"Il faut bien admettre que les effets du vent avaient été sous-estimés", observe honnêtement Hubert Barthélémy, chef prévisionniste à Météo-France Nancy. "La tempête avec des vents à plus de 120 km/h, on l’avait bien prévue et annoncée", nuance Bruno Vermot-Desroches, chef de centre Météo-France de Besançon, qui ajoute : "On n’a pas sous-estimé le phénomène, mais son impact oui".

Une chose est sûre, les équipements étaient moins performants et les prévisions moins précises. Un an plus tard, la carte de vigilance météo, avec ses quatre couleurs de vert à rouge, est créée. De nouvelles sondes ont été installées pour améliorer le calcul de la température et de l’humidité. La précision permet aujourd’hui une analyse "à partir des données météorologiques mondiales toutes les 6h au lieu de 24h il y a vingt ans", explique Bruno Vermot-Desroches. A Météo-France comme ailleurs, la tempête de 1999 aura marqué la fin d’une époque.

Réalisation : Marine VAN DER KLUFT avec Philippe BESANCENET, Sébastien COLIN, Sergio DE GOUVEIA, Karine DIVERSAY, Thierry FEDRIGO, Fred JIMENEZ, Antoine PETRY, Valérie RICHARD, Philippe RIVET
Infographies : Céline ROMAC
Vidéos : Karine DIVERSAY, Thierry FEDRIGO, Fred JIMENEZ, Laurent MAMI