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A Avion, le crash de l'Europe "Non" record au référendum en 2005, abstention massive. Dans cette commune désindustrialisée du Pas-de-Calais, bastion communiste depuis les années 30, les élections européennes ne passionnent pas les habitants. Texte et photos Xavier Frère

Un sandwich au rond-point ou une blanquette à l'Élysée ? C'était le choix "cornélien" auquel avait été confronté il y a quelques semaines Jean-Marc Tellier, maire d'Avion, cette commune de 18 000 habitants, en périphérie sud de Lens. L'élu communiste avait invité le président Emmanuel Macron à venir débattre dans sa commune. Dans un premier temps, l'Élysée n'avait pas donné de réponse. Finalement, le maire avait été convié sous les ors de la République pour déguster, dans le salon présidentiel, une blanquette de volaille de Licques, mais M.Tellier a décliné, préférant se joindre à des gilets jaunes dans sa commune.

Avion est-elle à l'image de son maire, une commune rebelle ? Révolutionnaire, comme son long passé communiste - on va prochainement fêter les 85 ans de gestion communiste à la mairie ? Avion est en tout cas marquée au "fer rouge", comme cet or, le schiste, qui a longtemps contribué à sa prospérité. "Avion la rouge, Avion la rebelle" n'est pas qu'un cri lancé les soirs d'élection après avoir entonné l'Internationale, c'est une réalité. Lors du référendum sur l'Europe en 2005, Avion avait voté à 84 % contre. Presque un record de France.

« Les gens sont désespérés ici, ils ont la tête basse dans les épaules, c’est morose. Les gens sont fauchés. A partir du moment où les mines et les grandes entreprises ont fermé, il ne reste que des petits commerces. Quand on a démarré, c’était florissant de boutiques. Je relie ça aussi à l'évolution technologique : des petits salaires, les petites retraites, le RSA, ils mettent tout dans le numérique. qu’est-ce qu’il leur reste ?on ne peut pas mettre ça toujours sur le dos de la politique, c’est trop facile. les europeennes, personne n'en parle. la préoccupation prioritaire, c'est se nourrir et se vêtir, et après se divertir.

Kader, vendeur ambulant de textiles, sur le marché hebdomadaire d'Avion depuis vingt ans

Dans le bourg, les nombreuses maisons à vendre, les commerces fermés sont les traces visibles d’une région en grande souffrance économique et sociale : à Avion, le chômage frôle les 23 %, pour atteindre 40 % dans certains quartiers, comme celui de La République sorti de terre dans les années 70 et qui accueille essentiellement une population d'origine marocaine (près de 17 % de la population). Plusieurs quartiers résidentiels sont venus ces dernières années se greffer aux cités des fosses 4 et 7, ainsi qu'à la cité cheminote, née il y a 90 ans et inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO.

La cité de la fosse 4

Au bureau de la section locale située juste en face de la mairie, les « camarades » tractent presque tous les soirs de la semaine, avant le jour J du 26 mai. Le plan de bataille est affiché aux murs. Bruno Gosselin, le secrétaire de section du Parti communiste à Avion, donne les consignes. Sur un autre mur, un patchwork de photos de militants communistes. Une photo avec Jean-Luc Mélenchon est, elle, masquée. Bruno Gosselin n'aime pas trop s'étendre sur le sujet "Insoumis". "On a fait une erreur de se mettre avec Mélenchon, on a participé nous-mêmes à notre effacement. Mais aujourd'hui, il y a l'espoir, du renouveau ! Combien de fois nous a-t-on donné pour morts, et on est toujours là ! On est en train de semer, la récolte sera pour bientôt", soutient ce fils d'ouvriers textiles qui a baigné dès son plus jeune âge dans le militantisme.

Dans la rue principale et devant la mairie.

L’espoir se nomme aujourd’hui Ian Brossat, tête de liste du PC aux Européennes, venu à Avion début mai et accueilli par un millier de sympathisants. " Il porte notre colère noire avec le cœur rouge", résume Bruno Gosselin. A ses côtés, Hervé Poly, secrétaire fédéral PC du Pas-de-Calais, dit vouloir mobiliser un électorat qui "s'abstient énormément". Comment parler politique quand l'essentiel est ailleurs, dans les derniers euros des fins de mois ? " La misère existe ici, ce n'est pas une invention", admet Hervé Poly, "les gens ici ne voient pas les patrons, les riches ici, il n'y en a pas ! Alors, c'est à nous d'occuper le terrain, nous qui ne croyons pas à ce nouveau monde, à cette Europe du libéralisme".

« Dire ‘’j’aime l’Europe’’ ici, faudrait être fou, Entre les dégâts faits par la CECA (communaute europeenne du charbon et de l'acier), la fin de la sidérurgie, puis celle du textile, ou la concurrence avec les pays de l’Est, nous sommes les victimes de l'europe »

Hervé Poly, secrétaire fédéral du PC Pas-de-Calais (en veste noire derrière Bruno Gosselin, secrétaire de section à Avion) devant le terril de Pinchonvalles, le plus long d'Europe.

La vague des gilets jaunes, qui n’a pas épargné le bassin minier, a donné un nouveau souffle aux militants communistes. La convergence est assumée au PC d'Avion, où on les rejoints le samedi dans les rues de Lens et on leur fournit même "un soutien matériel". Le rouge et le jaune dans le même panier ? Oui, on remarque ainsi sous les pare-brises de voitures des militants d'Avion, des gilets en bonne place. " On est très bien accueillis", sourit Hervé Poly, qui, en 2012, était suppléant d'un certain...Jean-Luc Mélenchon à Hénin-Beaumont.

A Avion.

Dans la longue artère principale, le joli immeuble art déco du club « La joie de vivre » a perdu de sa superbe. Les rideaux sont tirés sur de nombreux magasins. Le café-tabac-journaux "A L'Elysée", à une centaine de mètres de là, affiche, lui, des lettres flambant neuves.

A une lointaine époque, le thé dansant dans la grande salle commune à l'arrière faisait fureur. Eric Lemaire, le patron de "A L'Elysée" est catégorique : "La moitié d'Avion a connu son futur mari ou sa future femme ici". La valse à mille temps chère à Jacques Brel ne tourne plus très rond, mais le buraliste compense avec tout le reste : le tabac, la bière, les jeux d'argent surtout, et, dans une bien moindre mesure aujourd'hui, la presse.

Les monuments à Avion à la gloire des mineurs.

Eric Lemaire, dont toute la famille travaille dans le tabac, prend depuis quinze ans le "pouls" des Avionnais. Il est formel : "Personne ne parle des élections européennes, il n'y a pas d'affiches, j'ai seulement eu un flyer du PC d'Avion..." Même la bataille électorale, récurrente ces dernières années dans le secteur minier, entre les communistes et le Front national (devenu Rassemblement national), ne tient plus ses promesses. "Une guerre des affiches" avait parfois lieu. A Avion, lors du second tour de la présidentielle en 2017, Marine le Pen avait obtenu 55,80 % des voix.

Dans la rue principale d'Avion.

Comme de nombreuses communes du Pas-de-Calais, Avion souffre de la désindustrialisation, après la fermeture des mines dans les années 80 et 90. "Le département, c'est beaucoup plus compliqué maintenant que celui, voisin, du Nord, alors qu'à l'origine, c'était excellent ici", se souvient Kader, le marchand ambulant.

Eric Lemaire, lui, fait appel à sa mémoire, pour ressortir des chiffres édifiants : "En 2003, quand je suis arrivé à Avion, on comptait 12 tabacs, aujourd'hui on est 5...Et à l'époque où les mines tournaient, on recensait 57 cafés ici ! Quand il y avait de l'argent, quoi..." Pourtant, malgré le marasme qui frappe la région et les clichés qui collent à la peau de sa région de naissance ("ça me saoule qu'on nous fasse passer pour des cons, des demeurés"), lui affirme mieux vivre qu'avant. Il va même prochainement embaucher un salarié.

« Les gens s’en foutent complètement des elections europeennes, ils ont bien d’autres préoccupations...En 2003, quand je suis arrivé, la ville comptait 12 tabacs, il en reste 5. les cafés, Il y en avait 57 quand les mines tournaient… »

Eric Lemaire, gérant du café-tabac-journaux "A l'Elysée" depuis quinze ans

La Belgique se trouve à quarante kilomètres, Avion se situe également sur la route du Royaume-Uni via Calais. Pourtant, l'Europe semble absente, occultée, comme une ombre derrière l'horizon des terrils. D'ailleurs, contrairement à d'autres mairies, celle d'Avion n'arbore que le drapeau français, pas l'Européen.

Derriere la cite de la fosse 4, les tours du quartier de la republique

On partage pourtant ici avec les cousins belges quelques spécialités : les frites, la bière, les moules-frites, le chicon. A « Délice frites », enseigne-phare de la commune, à deux pas de l’hôtel de ville, on ne chôme jamais, ou très rarement. "Surtout le week-end", précise Hervé, l'un des trois employés, "c'est de la folie, on vient de très loin pour nos frites".

« L’Europe en soi ne me dérange pas trop, mais Bruxelles nous fait perdre parfois notre libre arbitre. j’irai voter si j’ai le temps »

Hervé, employé à "Délice frites", l'un des restaurants les plus fréquentés de la ville.

Ce jour-là, deux clients évoquent la venue de deux sosies de Johnny, dont "l'un est très ressemblant et bon chanteur". Au comptoir, des lycéens se pressent pour des burgers maison. Hervé encense Avion, commune "où il fait bon vivre et où il existe beaucoup de choses pour les enfants". Les Européennes ? L'affable Hervé, depuis deux ans au resto, sourit : "Ce n'est pas un sujet tabou, mais les gens n'en parlent absolument pas".

Contrairement à son collègue Manu, préposé à la viande ce midi-là, Hervé s'intéresse aux enjeux européens. "Avion est une ville communiste, donc pas très pro-Européenne...Moi, l'Europe ne me dérange pas trop, mais on a l'impression que Bruxelles décide des normes et qu'on n'a plus notre libre-arbitre. C'est mieux d'être tous ensemble, mais qu'on prenne de bonnes décisions".

Les marques du passé minier sont encore très présentes
Reportage Xavier FRERE/EBRA
Created By
Xavier FRERE
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Credits:

Xavier FRERE

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