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Coordinateur d’intimité, un nouveau métier post #MeToo Secoué par le scandale Weinstein et le mouvement #MeToo, le cinéma américain tente depuis 2018 d’améliorer les conditions de tournage des scènes intimes. Un impératif sociétal qui a vu émerger le métier de coordinateur d’intimité.

"I May destroy you" ("Je peux te détruire", en français)… Cette mini-série peu connue en France a reçu début juin deux Baftas, les récompenses pour la télévision britannique. Puissante et déstabilisante, elle raconte la reconstruction d’Arabella, une autrice noire victime de viol. L’actrice et réalisatrice de cette œuvre engagée s’appelle Michaela Coel. Et cette histoire, c’est en partie la sienne. Victime de viol, la jeune femme de 34 ans a dû se replonger dans son traumatisme pour explorer le thème du consentement sexuel.

Alors, lors de la remise des prix à Londres, elle a tenu à saluer le travail d’une autre femme : Ita O’Brien, sa coordinatrice d’intimité sur le plateau de tournage. Elle l’a ainsi remerciée "d’exister dans notre industrie, de rendre l’espace sûr pour créer des limites physiques, émotionnelles et professionnelles afin que nous puissions faire un travail sur l’exploitation, la perte de respect, l’abus de pouvoir, sans être exploités ou abusés dans le processus".

Des planches aux plateaux de tournage

"Rendre l’espace sûr." Cette phrase résume à elle seule les enjeux du métier de coordinateur d’intimité. Hommes ou femmes, leur rôle est de s’assurer du consentement des interprètes lors de tournage de scènes de nudité, de scène de sexe simulé ou encore de violences sexuelles. Ils travaillent aussi en étroite collaboration avec l’ensemble de l’équipe de tournage, avec un seul but : réaliser la meilleure production possible dans les meilleures conditions.

Le métier n’est pas totalement nouveau, il existait déjà au théâtre, où les scènes sont rejouées chaque soir pendant des semaines voire des mois. Mais il n’a conquis les plateaux de cinéma qu’en 2018, sur le tournage de la saison 2 de la série américaine "The Deuce". L’actrice Emily Meade incarne à l’écran une actrice porno dans les années 1970 à New York. Un rôle qui la met mal à l’aise au vu de la violence de certaines scènes. Elle demande alors à la production d’engager quelqu’un qui veillera à ce qu’elle travaille dans un environnement sûr. Réponse immédiate de la chaîne, qui embauche Alicia Rodis, connue pour son travail au théâtre. L’alchimie prend immédiatement et HBO annonce peu de temps après l’obligation sur tous ses tournages de la présence d’un coordinateur d’intimité, notamment "Game of Thrones".

Un métier incontournable aux États-Unis

En pleine affaire Weinstein qui secoue les États-Unis, cette profession est rapidement mise en lumière par la presse outre-Atlantique et rencontre un franc succès auprès des équipes de tournage. En janvier 2019, Netflix sort ainsi sa première série tournée avec une coordinatrice d’intimité, Ita O’Brien : "Sex Education (en photo en tête)". Moins de quatre ans après, le métier est désormais reconnu et encadré aux États-Unis notamment par le syndicat professionnel SAG-AFTRA (lien en anglais).

L’idée fait aussi son chemin dans l’Hexagone. Netflix travaille par exemple avec une coordinatrice d’intimité, dans la lignée de sa maison mère américaine. Ita O’Brien dit également avoir reçu plusieurs sollicitations de la part de studios de cinéma français. D’après la BBC, il s’agirait même de la catégorie d’emploi qui connaît la plus forte croissance dans l’industrie du divertissement dans le monde.

Dossier réalisé par Justine BENOIT

Les actrices Hunter Schafer et Zendaya dans la série Euphoria de HBO. Crédit photo Allociné/HBO

Interview

"Chaque acteur a ses limites et il faut les respecter"

Amanda Blumenthal, coordinatrice d'intimité aux Etats-Unis et formatrice

Amanda Blumenthal. Photo DR

Parmi ces coordinateurs d’intimité, on trouve Amanda Blumenthal. Sexologue, spécialiste de l’éducation sexuelle positive, la jeune femme a également travaillé avec des personnes ayant subi des violences sexuelles. Elle découvre ce milieu un peu par hasard, en postulant à une offre d’HBO pour la série Euphoria (photo ci-dessus). La série mettant en scène des jeunes adolescents explorent de nombreux thèmes parmi lesquels les relations amoureuses, et donc le sexe. Impossible dès lors pour HBO de ne pas avoir un coordinateur d’intimité pour encadrer les scènes des acteurs âgés d’une vingtaine d’années. Aujourd’hui, Amanda a sa propre entreprise, qui forme les futurs coordinateurs d’intimité. Elle nous a raconté les coulisses.

En quoi consiste exactement le métier de coordinateur d’intimité (CI) ?

"Il y a deux phases différentes : la préparation en amont du tournage et la partie filmée. Pendant la préparation, le CI reçoit le script et échange avec le réalisateur et le producteur sur les scènes intimes. Comment cela va être filmé ? Ces scènes sont-elles indispensables à l’histoire ? Ensuite, on demande à l’acteur ou l’actrice si certains aspects des scènes le mettent mal à l’aise. On répond à toutes les interrogations qu’il peut avoir, notamment pour les jeunes acteurs qui ne sont pas habitués. S’il y a des divergences, nous aidons à trouver un terrain d’entente tout en nous assurant que les droits de l’acteur sont respectés." Ensuite, nous travaillons avec les différents corps de métiers, les costumes pour d’éventuels prothèses par exemple. Nous sommes aussi présents lors de la captation et nous pouvons nous charger de la chorégraphie de la scène si le réalisateur le souhaite. Le CI se place ensuite en observateur et peut intervenir à tout moment si l’acteur en ressent le besoin. L'essentiel : les acteurs doivent se sentir à l’aise. Parfois, ils se retrouvent en effet devant le fait accompli et personne ne parle de la scène d’intimité avant le jour même du captage. Cette façon de faire peut engendrer de gros problèmes. Chaque acteur a ses limites et il faut les respecter."

Est-ce différent de travailler avec de jeunes acteurs plutôt que des acteurs expérimentés ?

"La plupart des acteurs expérimentés en scènes intimes se sentent plus à l’aise, contrairement à un jeune acteur qui ne sait pas à quoi s’attendre. Et certains ne comprennent pas notre rôle. Mais ils doivent se souvenir de ce que ça fait d’être un jeune acteur, et de se sentir parfois obligé de dire oui de peur de perdre un rôle."

Quel regard portez-vous sur votre métier ?

"C’est un métier incomparable, un défi unique à chaque tournage et la relation avec l’acteur est particulièrement enrichissante. Mes précédentes expériences m’ont beaucoup aidé à appréhender ce métier et je pense que c’est une opportunité d’améliorer la façon dont sont représentés les genres et la sexualité à l’écran. De rendre ces scènes plus authentiques. Contrairement à certaines idées reçues, simuler une scène de sexe à l’écran avec un autre acteur qu’on connaît depuis dix minutes, ce n’est pas comme faire l’amour avec un inconnu rencontré dans un bar. C’est un vrai travail et ça n'a rien de naturel."

La France bientôt conquise ?

Contrairement aux États-Unis ou au Royaume-Uni, le métier de coordinateur d’intimité (CI) balbutie encore dans l’Hexagone. La première CI française, Monia Aït El Hadj, exerce seulement depuis 2020. Ancienne juriste pendant 15 ans, elle a tout plaqué en 2018 pour se lancer dans des études de cinéma, sa première passion. Formée à la communication non violente et sensibiliser aux évolutions sociétales, elle tombe immédiatement sous le charme du métier. C’est Amanda Blumenthal, l’une des premières coordinatrices d’intimité outre-Atlantique, qui se charge de sa formation.

La culture française a toujours donné plus de place à la nudité que les Américains.

Aujourd’hui, Monia travaille pour plusieurs sociétés de production françaises. Son dernier tournage : la saison 2 de la série Netflix "Emily in Paris" (en photo à gauche Lily Collins lors de la saison 1). "En France, le métier fait petit à petit sa place. C’est une bonne chose car nous n’avons pas eu les mêmes scandales qu’aux États-Unis et la culture française a toujours donné plus de place à la nudité que les Américains. Ça aurait donc pu mettre beaucoup plus de temps à se faire connaître", commente Monia.

Si l’affaire Weinstein n’a pas connu d’équivalent en France, certaines prises de parole ont, au fil des années, mis en lumière le mal-être de certains acteurs. Comme celui de l’actrice Maria Schneider, 19 ans lors du tournage du "Dernier tango à Paris" (1972) de Bernardo Bertolucci. Au début des années 2010, le réalisateur avoue n’avoir rien dit à la jeune actrice du déroulé de la scène. "La séquence du beurre est une idée que j’ai eue avec Marlon la veille du tournage. Je voulais que Maria réagisse, qu’elle soit humiliée. Je pense qu’elle nous a haïs tous les deux parce que nous ne lui avons rien dit", reconnaît le cinéaste lors d’une interview. Une révélation qui lui vaudra les foudres du milieu, mis au pied du mur face au traumatisme de l’actrice.

Pour les coordinateurs d’intimité, ce genre de pratiques est inconcevable. Monia voit d’ailleurs dans son métier une évidence. "De la même manière qu’il faut préparer une cascade, il faut préparer une scène d’intimité", explique-t-elle, avant d’ajouter : "La sexualité au cinéma était jusqu’à présent le parent pauvre de la préparation d’un film, ce n’est qu’un juste rééquilibrage des choses."