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hors-piste et rando: le ski sans modération, mais avec précaution S’aventurer hors des pistes balisées offre des sensations de glisse exceptionnelles. Mais attention ! Le risque zéro n’existe pas.

Nos massifs ont enfin retrouvé leur blancheur hivernale. La neige est là. Abondante, séduisante, elle va attirer des milliers de passionnés de ski et de snowboard lors des prochaines semaines sur les pistes. Mais aussi en-dehors des espaces non damés, non sécurisés. Là où la neige est vierge. Là où la communion avec la montagne atteint sa plénitude. Là où la sensation de glisse originelle est synonyme de liberté. Là, où le danger rode. Insidieux…

Dossier réalisé par Yves BILLET - Montage : Émilie CHAUMET

Certes, le hors-piste est autorisé d’un point de vue légal, tout comme d’ailleurs le ski de randonnée en pleine expansion. Mais leur pratique ne s’improvise pas. « Poudreuse peut rimer avec dangereuse », glisse Simon Cartier-Lange, responsable du service des pistes de la station de Saint-Colomban-des Villards dans le domaine des Sybelles en Maurienne.

Simon Cartier-Lange (pisteur à Saint-Colomban-des-Villards). Photo DR

Atténuer les risques

Avant de se lancer dans des pentes affriolantes, il y a des risques à connaître et à mesurer afin de mieux les anticiper. Ils concernent en premier lieu les obstacles piégeux qu’on trouve en terrain montagnard, tels les crevasses, les rochers cachés sous la neige, les arbres, etc. Ils concernent aussi la perte de repères dans le mauvais temps, qui peut entraîner une nuit passée en pleine montagne, ou la chute d’une barre rocheuse. Il y a enfin les avalanches. En France, toutes pratiques confondues, elles sont à l’origine d’une trentaine de morts en moyenne chaque hiver.

Source : ANENA (association nationale pour l’étude de la neige et des avalanches)

Aujourd’hui, les professionnels de la montagne font de la prévention leur cheval de bataille. C’est notamment le cas du capitaine Sébastien Grandclément. Ce Jurassien bon teint, né à Saint-Claude, est à la tête du PGHM (Peloton de gendarmerie de haute montagne) de Jausiers, situé au cœur de la vallée de l’Ubaye dans les Alpes de Haute-Provence.

Photo Le Progrès / Joël PHILIPPON

« Avant de s’aventurer dans une sortie hors-piste ou de ski de randonnée, le pratiquant doit être responsable. Il ne doit d’abord pas partir seul, ne pas surévaluer son niveau de ski pour ne pas s’engager dans des pentes impossibles et savoir renoncer si les conditions météo ou de neige sont mauvaises. En ski de randonnée, il faut également laisser son itinéraire à quelqu’un et donner un horaire de retour. Cela peut permettre de déclencher les secours et de retrouver un skieur perdu dans le mauvais temps ou surpris par la nuit. »

« Un par un… Tous pour un ! »

C'est la devise de l’ANENA (Association Nationale pour l’Etude de la Neige et des Avalanches). Elle s’applique aussi bien au ski hors-piste que de randonnée.

« Quand il fait très beau et que le paysage est magnifique, les gens ont tendance à ne plus se rendre compte que la montagne peut être dangereuse »
Florence Masnada est la voix du ski féminin sur Eurosport après avoir été une skieuse de haut niveau, double médaillée de bronze aux Jeux Olympiques d’Albertville en 1992 (combiné) et de Nagano en 1998 (descente). Archives Le Progrès / Pierre AUGROS
« Ils ont la tentation d'aller faire de belles traces hors des pistes et oublient le risque. C’est là que les accidents arrivent »

Sortez équipés !

L’autre point essentiel, c’est le matériel. « La trilogie DVA (Détecteur de victimes d’avalanche)-pelle-sonde est indissociable et indispensable pour s'aventurer en hors-piste », souligne Simon Cartier-Lange. « J’ajouterai un sifflet et une lampe frontale qui permettent d’être repéré de jour ou de nuit à longue distance », renchérit le capitaine Sébastien Grandclément.

Avoir du matériel, c'est bien, savoir s'en servir, c'est essentiel

« Avoir tout ce matériel, c’est une chose. Savoir s’en servir en est une autre. Il faut s’entraîner pour ne pas être pris au dépourvu le moment venu », commente Simon Cartier-Lange. « Par expérience, je sais que des personnes ensevelies n’ont pas été trouvées à temps, parce que les gens présents pour les secourir ne savaient tout simplement pas monter leur sonde pliable qui était dans le sac à dos. Et là je ne parle même pas de l’utilisation du DVA », confirme le capitaine Sébastien Grandclément.

Photo Le Progrès / Philippe VACHER

Il convient enfin de combattre certaines idées reçues. Suivre des traces fraîches n’est pas un gage de sécurité. Skier en forêt ne met pas à l’abri des avalanches. En fait, il faut être conscient que le risque est partout en hors-piste, y compris en bordure des pistes balisées. « C’est même souvent là que les accidents les plus sérieux arrivent », précise Florence Masnada.

Simon Cartier-Lange confirme : « Une coulée peut partir n’importe où, sous un télésiège ou dans un simple talus aux abords d’une piste balisée. Ces gens-là, qui se hasardent à seulement quelques mètres des pistes, n’ont généralement ni DVA, ni pelle, ni sonde. Et là… »

Photo Le Progrès / Philippe VACHER

Bref, sortez équipés ! Et si vous devez toujours avoir en mémoire que le risque zéro n’existe pas en ski hors-piste ou ski de rando, vous pouvez le pratiquer sans modération, à condition de prendre toutes les précautions.

Vidéos, réseaux sociaux, attention aux dégâts collatéraux !

« Certains viennent plus faire de l’image que du ski hors-piste. C’est ça le risque. Aujourd’hui, on voit tout et n’importe quoi ! »

Celui qui parle ainsi des skieurs du dimanche qui se prennent pour des freeriders n’est pourtant pas un vieux « réac » des montagnes.

Photos SALOMON/@F.Maierhofer

Membre du team Salomon, Fabien Maierhofer (34 ans) est connu comme le loup blanc sur la toile, où sa web-série sur le ski “Bon appétit” bat des records au box-office du freeski avec plus de cinq millions de vues depuis huit ans.

« A partir du moment, où on évolue en montagne dans des espaces non sécurisés, il y a du danger. Les gens ont tendance à l’oublier. Bien sûr, on vend du rêve avec nos images et nos films. Mais rien n’est improvisé. Il y a un important travail préparatoire en amont sur les conditions météo et de neige, la reconnaissance des terrains, le degré et l’exposition des pentes ridées », précise Fabien Maierhofer, dont plusieurs épisodes de “Bon appétit” ont concerné la prévention. « Sans passer pour des moralisateurs et entraver la liberté de skier, mais c’est un devoir », martèle-t-il.

Pisteur depuis 2008, Simon Cartier-Lange a suivi l’évolution et certaines dérives du ski hors-piste. « Avant, c’était surtout les gars du pays qui ouvraient des traces sur des pentes qu’ils connaissaient bien, raconte-t-il. Mais depuis une douzaine d’années, le ski hors-piste explose. Ça a coïncidé avec l’apparition des vidéos des freeriders sur internet, mais surtout l’utilisation de la Go Pro sur les casques. Les jeunes, en particulier, veulent faire comme les stars du freeride, et ça joue énormément. Ils se filment, ce qui les pousse à prendre des risques inconsidérés. Ils mettent leur vie, et celles des autres, en péril. »

« Les jeunes veulent faire comme les stars du freeride »

« J’avoue que ce je vois me fait parfois peur », avoue Florence Masnada, qui fustige les réseaux sociaux : « C’est la course à la trace, et je ne parle même pas des skieurs expérimentés qui ouvrent de nouveaux couloirs. Pour poster une vidéo et se faire mousser sur les réseaux, certains se lancent dans des rides qu’ils ne maîtrisent pas et dans des endroits qu’ils ne connaissent pas. C’est là que les accidents arrivent, y compris sur les bords de piste, dont on oublie qu’ils peuvent être très dangereux. »

L’échelle de risque des avalanches

Météo France met à jour quotidiennement le BRA (Bulletin du risque d’avalanche). L’échelle va de 1 (risque faible) à 5 (risque très fort), en passant par 2 (risque limité), 3 (risque marqué) et 4 (risque fort).

« La plupart des accidents arrivent malheureusement par risque 3. C’est un risque bâtard, mais élevé. Le manteau neigeux est plus ou moins bien stabilisé. Les gens n’ont pas peur et croient qu’il ne va rien leur arriver. C’est traître », confie Frédéric Jarry, chargé de l’accidentologie à l’ANENA (Association nationale pour l’étude de la neige et des avalanches).

Photo Le Progrès / Philippe VACHER

« Ce qui déclenche les avalanches ce n’est pas la quantité de neige, poursuit-il, mais la structure du manteau de surface et le décalage entre une couche avec une bonne cohésion, qui crée une plaque, et une couche plus fragile en dessous, qui s’effondre comme un château de cartes au passage d’un randonneur ou d’un skieur. »

« Le risque 3 est un risque bâtard, mais élevé »

Observateur zélé de l’accidentologie en montagne, il a noté une stabilité à long terme. Il y a eu en moyenne une trentaine de morts par an depuis les années 1970. On constate des variations importantes d’une saison à l’autre, alors même que le nombre de skieurs, et en particulier d’adeptes du freeride ou du ski de randonnée a fortement progressé.

« Aujourd’hui, les freeriders et les randonneurs sont bien mieux équipés. Alors qu’ils étaient à peine 40 % dans les années 80, ils sont désormais plus de 80 % à sortir des pistes avec DVA, sonde et pelle. 50 % environ sont aussi munis d’airbags qui peuvent sauver des vies », explique-t-il.

« Au 11 février, on ne recensait que cinq décès »

Si 2017-2018 a été un peu plus meurtrière que la moyenne (37 morts), cette saison s’annonce sous de meilleurs auspices. « Au comptage du lundi 11 février, on ne recensait que cinq décès, peut-être aussi parce que le début de l’hiver a été sans neige », souligne-t-il. En tout cas, cela n’a rien à voir avec l’hiver 2005-2006 au cours duquel 57 skieurs avaient trouvé la mort sous des avalanches. « Cette mortalité a été due à un long hiver très enneigé, y compris à basse altitude, au cours duquel se sont succédé les chutes de neige et les semaines de beau temps. Le manteau neigeux ressemblait à un mille-feuille.»

Les bords de piste sont aussi dangereux

Frédéric Jarry insiste sur le fait que les avalanches peuvent être dangereuses n’importe où, y compris au bord des pistes balisées. Il prend l’exemple d’une avalanche qui a lieu sur Chamrousse.

Frédéric Jarry. Photo Le Progrès / Denis BOUSQUET

« Trois jeunes Lyonnais sont sur Chamrousse pour la journée. Neige fraîche et beau temps. Ils commencent par skier la piste rouge des lacs Robert, non damée. Puis ils se décalent rive gauche pour skier dans la neige vierge. Un premier descend, sans encombres. Une fille le suit, tombe et déchausse un ski. Le troisième descend pour l’aider à récupérer son ski. La plaque est déclenchée à ce moment. Ceux qui ont leurs skis au pied réussissent à s’échapper.»

Trois coups de chance

La jeune fille est emportée et ensevelie. Mais elle en réchappe grâce à trois coups de chance :

  • Elle arrête sa course dans l’avalanche à seulement un mètre d’un pylône.
  • Complètement ensevelie, seul un bout de sa chaussure dépasse du dépôt.
  • Un pisteur en congé et un guide sont en train de remonter le long de la piste au même moment. Ils voient l’avalanche et le bout de chaussure qui dépasse. Ils dégagent rapidement la victime avec leurs pelles … en moins de cinq minutes ! La victime s’en sort bien… »

Les conseils d'un professionnel : Sébastien Grandclément

S’il a grandi à Chamonix, le capitaine Sébastien Grandclément est un Jurassien bon teint, né à Saint-Claude. Agé de 43 ans, il est le commandant du PGHM (Peloton de gendarmerie de haute montagne) de Jausiers, nichée au cœur de la vallée de l’Ubaye dans les Alpes de Haute-Provence, depuis 2016. De par son expérience, il a fait de la prévention son cheval de bataille.

Sébastien Grandclément. Photo DR

Que faut-il faire avant de s’aventurer dans une sortie de ski hors-piste ou de randonnée?

Le pratiquant doit d’abord être responsable. Il ne doit jamais partir seul, ne pas surévaluer son niveau de ski pour ne pas s’engager dans des pentes impossibles, et savoir renoncer si les conditions météo ou de neige sont mauvaises. Ceci dit, la première chose à faire est de consulter le BRA (Bulletin du risque d’avalanche), mis à jour quotidiennement par Météo France. En risque 4 et 5, les gens ne s’aventurent généralement pas en hors-piste. En risque 3, les gens croient que ça va passer. Mais c’est un risque marqué, et donc élevé. Et c’est là qu’il y a le plus d’accidents, statistiquement parlant. Il ne faut pas oublier non plus que le temps peut changer très vite en montagne. Être pris dans le brouillard peut être dangereux, voire même mortel. Consulter les bulletins météorologiques la veille est indispensable.

Cela suffit-il?

Je conseille également de se renseigner auprès des professionnels, en particuliers les pisteurs secouristes pour le hors-piste, et des gens du coin pour la randonnée. Ils connaissent parfaitement leur montagne. C'est le moyen d’être informé sur les expositions des pentes et le type de neige. Il y a aussi des outils pour préparer sa rando à ski. Le site skitrack.fr, par exemple, répertorie et colorie toutes les pentes à plus de 30 degrés.

« Le pratiquant doit d’abord être responsable »

Est-ce qu’il convient d’emmener son téléphone portable?

Bien sûr. Il faut toujours avoir un téléphone avec soi, chargé du matin, parce que le froid décharge les batteries rapidement. Cela peut sauver des vies. Mais quand on sait que la zone où on skie n’est pas couverte pas les réseaux téléphoniques, on peut trouver un dispositif de réseau d’alerte mis en place par une association civile, moyennant 20 euros et l’achat d’une radio, qui met en rapport avec le PGHM.

Photo Le Progrès / Philippe TRIAS

Comment skier dans la pente ou progresser en montée en ski de randonnée?

Il faut déjà faire très attention quand on s’engage sur les pentes à plus de 30 degrés. C’est là que se déclenchent la plupart des avalanches de plaques. Il faut toujours avoir une vigie, ne pas descendre ou monter les uns sous les autres, et espacer les distances, d’où la devise : un par un… et tous pour un !

En cas d’accident, que faut-il faire?

Il faut appeler les secours sur le 112. D’où l’importance d’avoir un moyen de communication (téléphone, radio) et de ne jamais partir seul. En attendant l’arrivée des secours, il faut commencer à rechercher la ou les personnes ensevelies. Mais encore faut-il savoir se servir du DVA et de la sonde.

Quelle chance a-t-on de survivre sous une avalanche?

Outre les plaies traumatiques qui peuvent tuer contre des rochers, des arbres ou en sautant une barre rocheuse, une personne ensevelie a 93 % de chance de survie dans les 18 premières minutes qui sont donc cruciales. Après, l’espérance de s’en sortir décroît très, très vite. Si l’accident se passe près d’une piste balisée, les pisteurs peuvent intervenir vite et sortir rapidement la personne ensevelie, à condition bien sûr qu’elle soit équipée d’un DVA. Hors du domaine skiable, il faut bien compter une demi-heure environ pour que les premiers secours, type PGHM, arrivent sur place après avoir reçu un appel sur le 112.

Déconseillez-vous le ski hors-piste ?

Non. Mais j’ai l’habitude dire aux gens : « La montagne est toujours là, aujourd’hui et demain. » Il faut juste savoir renoncer ou rebrousser chemin…

Comment se préparer pour le ski?

« Quand ils se blessent au ski, beaucoup de gens interrogés avouent qu’ils n’ont pas fait beaucoup de sport avant d’arriver sur les pistes », lance François Gabriel.

François Gabriel. Photo DR

Kiné au centre paramédical Santy à Lyon et passionné de glisse, il s’intéresse aussi bien à la rééducation – son métier - qu’à la prévention. « Certains ne se rendent pas compte que le ski n’est pas qu’un loisir, mais un sport à part entière, précise-t-il. Il faut un minimum de condition et une préparation physique adaptée, ce qui permet de profiter de sa journée ou de sa semaine de ski sans se faire mal. Sans oublier que la plupart des accidents de ski arrivent en fin de journée quand le corps est fatigué. »

« Le ski n'est pas qu'un loisir, mais un sport »

Pour ceux qui aiment faire un ski engagé hors-piste, François Gabriel prône de se préparer « à-la-Killy », un exercice qui a pris le nom de l’ancien triple champion olympique des Jeux de Grenoble. « Il s’agit de muscler les quadriceps, explique-t-il. Il faut se coller tout bêtement la tête contre un mur, les bras le long du corps, en position assise comme si on était sur une chaise, les jambes à angle droit, et faire la chaise. L’objectif est de tenir le plus longtemps possible. Au moins une minute… »

Photos Le Progrès / Philippe JUSTE, Richard MOUILLAUD et Philippe TRIAS

En marge de son métier, François Gabriel fait une étude statistique sur les blessés en station de ski avec le chef des secours de la station de Crest-Voland en Savoie. « Outre le fait qu’il y a de plus en plus de collisions sur les pistes, notamment lors des vacances scolaires, où les pistes sont encombrées, d’où l’importance de porter un casque, il en ressort deux grands types de blessures suivant la qualité de la neige », constate-t-il.

« Lors des vacances de Noël, où il y a généralement peu de neige fraîche, mais de la neige de culture, très dure, neuf blessures sur dix environ sont des fractures de fémur, des poignets ou de l’humérus. En revanche, la proportion s’inverse dans la poudreuse ou la “soupe” de fin de saison. Ce sont alors les genoux qui ramassent et les ruptures du ligament croisé antérieur sont légion. Il est vrai aussi qu’avec l’apparition des skis paraboliques au milieu des années 90, les blessures au genou ont explosé, alors qu’avant la pathologie habituelle se concentrait sur les fractures du tibia qu’on ne retrouve quasiment plus. »

Prêts à chausser vos skis ?

Credits:

Dossier réalisé par Yves Billet/ Montage: Emilie Chaumet

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